Vers une dilution des responsabilités
Octobre 2022
Autrefois délivrée sur prescription médicale, ce médicament est deenu accessible sans ordonnance et remboursé systématiquement lorsque la demande émane d’une mineure. Aujourd’hui, en élargissant sa délivrance larga manu à toute demandeuse, ne risque-t-on pas de voir se multiplier les sollicitations, sous le simple prétexte que « j’y ai droit » ? De là une troisième question surgit inévitablement : dans un tel contexte, en décrétant cette distribution à qui de droit, ne s’oriente-t-on pas vers une dilution des responsabilités : les demandeuses refusant toute contraception et voulant à tout prix se rassurer vis-à-vis d’une possible grossesse, sont-elles dans leur droit d’y recourir ? Nos instances de tutelle sont-elles vraiment conscientes des débordements ? De leur côté, les pharmacien(e)s et préparatrices / préparateurs peuvent se sentir mal à l’aise face à leur perte de responsabilité dans leur exercice et qui semble s’opposer aux Bonnes Pratiques de Dispensation des Médicaments. A vouloir en faire encore plus pour les jeunes femmes, ne perd-on pas en visibilité quant à la répartition des responsabilités en cas d’accident ?
Les professionnels de santé que nous sommes ont toujours eu soin de vérifier le bon usage de ce type de médicament, vu la dose de substance active et les possibles effets secondaires, surtout quand la jeune femme, ne supportant plus de contraceptif, a dû l’arrêter. Ne parlons pas de jeunes femmes redoublant les prises en fréquentant plusieurs officines et voulant ignorer les risques encourus… Les équipes officinales continueront de ce fait à rester attentives. Mais la profession, mise au pied du mur par nos autorités, ne pourrait-elle pas demander que soit imposé un court entretien pharmaceutique à visée avant tout informative dans un espace confidentiel assurant toute discrétion en vue d’un dialogue en toute confiance ?
Avec le recul, il n’était pas rare qu’après une demande se révélant injustifiée, de jeunes femmes renoncent à la prise de pilule et repartent satisfaites d’avoir pu poser des questions en toute simplicité. De la même manière que nous allons pouvoir le faire bientôt pour les femmes enceintes afin de leur communiquer des informations sur le bon usage des médicaments pendant leur grossesse
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
Du bon sens et de l’esprit critique
paru le 12 mars 2021 dans le Quotidien du pharmacien
Comme d’autres professionnels de santé, nous observons quotidiennement le mal-être de nos concitoyens : fatigue, angoisse, stress, voire épuisement, s’exprimant parfois sur le mode de l’agressivité. Nous compatissons avec l’attention et la disponibilité nécessaires, jusqu’à « encaisser » quand le ton monte…
Il est vrai que cet état préexistait. Bien sûr la crise sanitaire n’a rien arrangé, puisque la solitude ou la promiscuité contraintes, l’ample recours au télétravail, les peurs d’être contaminé(e)s comme d’être licencié(e)s… participent de la dégradation de l’élan vital et des relations humaines.
Si certains expliquent ces plaintes par le cumul de contraintes de toutes sortes qui pèsent sur les individus et les privent de trouver du sens à leur vie et de l’optimisme, d’autres font l’hypothèse que nos contemporains s’imposent des exigences de perfection et de performance. Dans ce contexte, l’affirmation d’une telle souffrance « existentielle » - qui semble atteindre n’importe qui – en arrive à s’exprimer sous la forme de besoins de sommeil, de repos, de fuite.
La crise de la COVID 19 a révélé combien dans un tel climat, les offres les plus diverses en matière de santé sont devenues pour de nombreux concitoyens un recours essentiel pour arriver à tenir le coup. Il y a un an, les questions concernant les médicaments éventuellement utiles pour prévenir ou lutter contre ce virus revenaient sans cesse. Les premiers vaccins étant mis au point, les interrogations se portaient sur leur composition, les conditions de leur évaluation et leurs éventuels effets secondaires… Aujourd’hui il s’agit de l’approvisionnement : va-t-on pouvoir en profiter ? et quand ? y en aura-t-il assez ? Les médias n’arrangeant rien à l’affaire en s’emparant de prises de parole parfois intempestives, l’empressement pour obtenir des réponses de la part de professionnels avisés signe d’autant le degré élevé d’inquiétude générale.
Aujourd’hui notre profession est plus que jamais impliquée dans la gestion de cette crise, et c’est tant mieux. Notre rôle de soignant n’en est que plus important pour écouter, informer, expliquer, mais aussi démentir tant de contre-vérités. Face au scepticisme ambiant, ne s’agit-il pas de rappeler, avec patience, avant tout le recours au bon sens, distiller des informations qui relèvent de la raison scientifique, et argumenter à partir d’évaluations rigoureuses. Souhaitons que notre profession, par son exemplarité, réponde à cette exigence de rigueur scientifique et d’esprit critique, afin de battre en brèche ces raisonnements trop simplistes ou ces thèses partisanes qui alimentent tant de réseaux sociaux. N’est-il pas de notre responsabilité de transmettre la culture humaine et scientifique qui nous a formés et nous a si souvent réjouis.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
Préparatrices et préparateurs : et si on changeait leur nom !
Publié dans le Quotidien du pharmacien le 8 décembre 2020
Dernièrement, le ministre de la santé a poussé la porte d’une officine parisienne pour se rendre compte des conditions de la réalisation des tests antigéniques par les pharmaciens de ville. Visite concluante de l’avis du ministre, qui, à la suite, n’a pas manqué de souligner l’implication de l’ensemble du réseau officinal depuis le tout début de l’épidémie…
Outre l’effet d’annonce suscité par le sérieux avec lequel Olivier Véran « trace » l’avancée des opérations, un élément est à retenir dans cette scène : la présence d’un préparateur. D’autant que c’est ce dernier qui a effectué le prélèvement. Sa présence démontre sans conteste que les efforts fournis par le monde officinal pour assurer toutes les missions qui lui sont dévolues relèvent bien de l’ensemble des diplômés œuvrant en officine.
Pourtant, même si le corps des préparatrices et préparateurs est bien identifié par le code de la santé publique parmi les « professions de la pharmacie » et donc comme professionnels de santé, il semblerait qu’une instance ministérielle ait mystérieusement occulté l’information. Pour preuve, ces professionnels ont été oubliés lors du don de masques issus des stocks de l’Etat. Ils disparaissent de nouveau des listes de professions pouvant bénéficier de tests Covid gratuits. Fort heureusement, la FSPF a pu rattraper de telles erreurs et a permis qu’ils soient inclus dans les dotations de l’État.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Car, si des tests Covid peuvent être réalisés sur tout professionnel de santé le désirant, et sur présentation de sa Carte CPS, préparatrices et préparateurs n’y ont pas droit car ne possédant pas cette carte, étant donné qu’elles / ils ne sont pas « des professionnels de santé autonomes » (art. L4241-1).
Où se trouve alors « le bug » qui exclut ce corps professionnel des professionnels de santé ? Amené à seconder les pharmaciens d’officine, sa formation et ses compétences ont considérablement évolué depuis quelques années. A l’heure où les missions confiées aux pharmaciens de ville tendent à se diversifier, comment ne pas considérer que préparatrices et préparateurs sont des ressources inestimables. Sans leur concours, de nombreux titulaires seraient vite submergés. Non pour assurer la gestion de gammes de parapharmacie ou d’autres tâches subalternes, mais dans des registres directement attachés à l’exercice pharmaceutique : bon usage du médicament, conseils pratiques aux patients sur le traitement, conseil de traitement pour des troubles mineurs, bonne utilisation de nombreux dispositifs médicaux. La visite du ministre a ainsi mis en évidence une des nouvelles missions auxquelles elles / ils sont amené(e)s à participer. L’acquisition de savoir, savoir-faire et savoir-être leur permet une totale intégration dans l’équipe officinale.
« Le bug » aurait-il pour origine la dénomination de ces professionnels ? L’étrangeté de celle-ci n’y est peut-être pas pour rien. Comme l’activité de « préparation officinale » s’est considérablement raréfiée, une bonne partie du public risque de considérer que leur activité se limite à la fonction de vendeuses / vendeurs ou à la préparation de commandes ! Ce type de représentation ne peut qu’aller à l’encontre d’une modification de leur statut. Face à ce manque de reconnaissance, une des solutions ne serait-elle pas de changer leur nom : pourquoi pas « assistant(e)s en pharmacie ». Leur fonction de seconder des pharmaciens ne serait-elle mieux comprise des patients et ne participerait-elle pas plus sûrement à la valorisation de cette profession.
Le conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
Chère liberté
Publié dans le Quotidien du 13 octobre et le Moniteur du 15 octobre 2020
Même si l’efficacité des masques a mis un certain temps à être acceptée par quelques-uns de nos responsables puis par une large majorité de nos concitoyens, ce type de protection vis-à-vis du coronavirus reste contesté par un noyau d’irréductibles. Empêcher la propagation virale en respectant les gestes barrière, dont le port de masques, paraît relever pour beaucoup d’entre nous du pur « bon sens ». Mais en quoi ces conseils viendraient commencer à entamer « nos libertés », au risque de se faire manipuler, puisqu’ils visent le maintien de la bonne santé de l'ensemble de la population et la réduction maximale de nos dépenses publiques ?
Cette possibilité de refus de suivre des consignes élémentaires peut faire évoquer la liberté de prescription que s’arroge un certain nombre de médecins. Les diatribes auxquelles nous avons assisté en début de crise sanitaire au sujet de l’hydroxychloroquine démontrent bien qu’un bon nombre de prescripteurs ne s’embarrasse pas de validations scientifiques nécessaires et semble détaché de toutes recommandations délivrées par des instances autorisées. Même si certaines études pharmacologiques et cliniques laissaient pressentir une possible efficacité de cette molécule, même si certains médecins l'ont prescrit à titre compassionnel, est-il possible de se donner le droit, sans débat collégial préalable, d’outrepasser le principe éthique basique primum non nocere ?
Autre affaire qui ressemble à la précédente : des « prescriptions dangereuses » dénoncées par l’auteur du Livre noir de l’autisme* : antibiotiques, anti-infectieux, antiparasitaires, naltrexone et autres médicaments hors AMM pris au long cours… Outre l’absence de recherches sérieuses et le manque de formation des soignants dans ce domaine en France, comment se fait-il que des réseaux de médecins et de pharmaciens « amis » continuent de recruter des parents désespérés en dehors de tout respect des codes déontologiques pour prescrire et délivrer de tels médicaments en toute impunité ?
D’un côté, résistance instinctive à toute contrainte, de l’autre, utilisation de molécules et de protocoles « alternatifs » en dehors de toute preuve scientifique avérée. Au cours de ces différentes attitudes, la liberté est bien revendiquée sans complexe, mais elle est déconnectée de toute responsabilité. « Sans autrui devant qui je réponds de mes actes, ma responsabilité est vide et ma liberté n’est qu’une solitude »*. Grâce aux règles sociales de base et aux éthiques professionnelles qui demandent de répondre de nos actes devant autrui, il est sûr qu’en les suivant, toute référence égocentrique est exclue, tout enfermement sur soi est banni. Alors que quelques-uns s'autorisent à manipuler « leur liberté » à leur guise, nos principes de vie en société laissent entendre que la liberté de tous commence quand chacun se sent responsable de lui-même et des autres. Ainsi ma liberté est directement conditionnée par ma prise de responsabilité : autrui n'est ni absent, ni limite de ma liberté, il est tout simplement condition de ma liberté.
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
* « La liberté de prescription a des limites » par A. Marques, revue Egora du 24-09-2020
* In Le paradoxe du bonheur, de B. Ibal, Ed. Salvator
La croix verte plus que jamais identifiée comme espace de santé
Publié dans le Moniteur le 13 Juin et le Quotidien du 19 Juin 2020
Depuis de nombreux mois, les principales faiblesses de notre système de santé avaient été dénoncées, et la crise sanitaire n’a fait que les révéler au grand jour. Mais ce temps inédit a aussi vu surgir solidarités, initiatives et engagements admirables dans les milieux les plus divers. Quelle analyse peut-on faire à partir de ce qui s’est vécu dans notre monde officinal ?
Imaginez d’abord l’existence de quelques déserts officinaux en France à l’heure du Covid-19 ! Combien de patients habitant aux périphéries de nos villes ou en zones rurales auraient été en rupture de traitement ? Heureusement toutes les équipes officinales se sont révélées irremplaçables pour permettre la continuité des soins : avec l’appui des établissements de répartition, elles ont assuré, avec un engagement sans faille, la dispensation des médicaments et d’autres produits de santé, quitte à se déplacer jusqu’au domicile de leurs patients. Fait non négligeable : ces derniers ont retrouvé le chemin des officines de proximité, ce qui peut nous rassurer sur leur fidélité. Cette crise a donc plus que jamais mis en évidence l’importance de l’homogénéité de notre réseau.
Comme de nombreux autres soignants, nos équipes se sont fortement mobilisées pour rappeler les gestes barrière indispensables et alerter sur les premiers symptômes. Mais ce n’est pas nouveau qu’elles s’investissent dans le domaine de la prévention ! Car, au contact direct des patients, impossible de mettre de côté cette dimension. Pourtant les efforts que nos équipes fournissent quotidiennement ne sont toujours pas reconnus à leur juste valeur ! Cette culture de la prévention est jugée accessoire depuis de nombreuses années par nos responsables politiques, considérant que le curatif est plus gratifiant et plus rémunérateur, et que toute démarche préventive relève plus de la liberté individuelle. Quoiqu’il en soit, les officines restent déterminées à être des lieux de sensibilisation et d’éducation.
Autre constat : face aux pénuries de médicaments qui se multiplient, les officines, comme les établissements de répartition, n’ont pas baissé les bras : car les équipes savent que celles-ci peuvent être dangereuses pour certains patients. Mais elles savent aussi ce qu’ignorent nos concitoyens : ces pénuries représentent un coût majeur pour les officines, qui doivent surmobiliser leur effectif pour faire face aux situations critiques. Situation qui ne va pas s’arrêter de sitôt, étant donné le ralentissement des transports internationaux et les contingentements par pays décidés par les fabricants.
Il serait encore possible d’évoquer la réactivité des équipes pour préparer les solutions hydroalcooliques, leur disponibilité face aux personnes angoissées par la pandémie, leur patience pour dissuader certains patients réclamant de l’hydroxychloroquine et toute leur attention face à des situations de violence conjugale ou familiale …. Cette crise sanitaire a démontré d’une manière exemplaire que là où clignote une croix verte, existe un véritable espace de santé et d’écoute. Non pas un lieu dénaturé où s’affichent de multiples promotions pour être en phase avec notre société d’hyperconsommation, mais un espace dans lequel des professionnels compétents se préoccupent de la santé d’autrui, qu’elle soit physique ou morale. Pendant ces semaines où se jouaient des questions de vie et de mort, il s’agissait pour eux de faire face aux impératifs du moment, avec leur savoir-faire et leur savoir-être. Au risque d’être aussi contaminé.e, chacun.e a pu transcender sa pratique quotidienne en se surpassant, occasion inattendue de se réassurer par rapport au sens à donner à sa vie professionnelle.
Parions que ces moments, qui ont réveillé chez tant d’entre nous le désir du service d’autrui, annoncent un monde qui donne davantage de place à l’humain !
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
Lettre ouverte aux responsables de notre profession
Publiée dans le Quotidien du 28 avril 2020
Nous nous réjouissons d’abord que, depuis le début de la pandémie, notre profession participe au grand mouvement national de solidarité des personnels soignants. Ainsi les officines constituent-elles des lieux stratégiques d’accueil des femmes victimes de violence. Occasion qui permet de vérifier que l’homogénéité du réseau officinal est la garantie de notre volonté de prendre soin de l’ensemble de la population.
La période que nous vivons est hors du commun, et l’ambiance générale relève le plus souvent de l’état d’urgence peu favorable à des décisions bien raisonnées. Si, en matière d’approvisionnement, il peut y avoir des imprévus et des contre-temps, en matière de prescriptions et de délivrance de médicaments, il serait souhaitable que les décisions correspondantes fassent l’objet de consensus préalables entre ministère et professions.
A titre d’exemple, le décret du 28 mars 2020 autorise les médecins à prescrire, à domicile ou en EHPAD, le Rivotril® injectable afin d’induire une sédation terminale chez des personnes âgées en cas de détresse respiratoire asphyxique. Emis en toute urgence, il semble étrangement donner aux médecins un droit de vie et de mort sur les malades les plus vulnérables, ce qui a inquiété une grande partie du corps médical. Le Comité consultatif national d’éthique a été aussitôt saisi pour demander de définir les principes éthiques devant encadrer une telle prescription. Même si le contexte actuel est hors du commun, un minimum de loyauté et de transparence s’impose.
L’arrêté du 14 avril 2020 concernant les pharmaciens fixe une nouvelle procédure pour que l’IVG médicamenteuse soit pratiquée en ville jusqu’à la fin de la septième semaine de grossesse (la réglementation fixait jusqu’à présent le délai maximal à 5 semaines). Les patientes pourront même consulter à distance les professionnels de santé habilités à prescrire puis venir chercher leur traitement à l’officine. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Pourtant, même si on ne peut ignorer la complexité de situations vécues actuellement par certaines femmes et jeunes filles, est-il normal de mettre entre parenthèses certains principes déontologiques fondamentaux ? Etant donné la diversité des points de vue de consœurs et confrères pour délivrer ces produits, quelques points retiennent plus particulièrement notre attention.
Jusqu’à présent, les textes intimant les pharmaciens de ville à délivrer des produits visant directement le début de la vie leur donnaient la possibilité d’orienter les personnes vers une officine proche acceptant de dispenser de tels produits. Il semblerait qu’une telle mesure soit ici abandonnée. Pour quelles raisons ? Certains courriers ne mentionnent pas l’obligation de la part du prescripteur de contacter le pharmacien[1]. Pourquoi cette différence d’interprétation ? Ne serait-il pas envisageable de concevoir ce type de délivrance sur la base du volontariat, comme elle se fait pour les traitements substitutifs aux opiacés, ce qui permettrait d’assurer l’accompagnement spécifique de ces situations ? De plus, alors que les pratiques actuelles insistent sur l’obligation d’accompagnement pour tout type de soins, comment ne pas percevoir dans cet arrêté un véritable abandon de la femme ou de la jeune fille dans les conditions difficiles de confinement, et a fortiori endurant les effets secondaires inévitables en cas d’une grossesse avoisinant les sept semaines ?
Enfin, cet arrêté mentionne que cette disposition restera transitoire, avec possibilité de modification en fonction de la situation. Comment être sûr d’une telle affirmation ? Cette décision n’est-elle pas la porte ouverte vers une extension de l’IVG médicamenteuse à domicile ?
Au regard de toutes ces questions, nous demandons que cet arrêté soit réexaminé pour confier ce type de dispensation à des consœurs et confrères, titulaires comme adjoints, sur la base du volontariat et donner le droit d’orienter les demandeuses vers des officines prêtes à assurer ce service.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
[1] Cf circulaire 2020-34 du 16 avril 2020 envoyée par la FSPF
L'emploi : chemin d'inclusion des personnes fragilisées
Publié par le Quotidien du 2 décembre et par le Moniteur du 8 décembre.
Il y a des questions qui de temps en temps vous traversent la tête et qui, faute de temps, sont laissées de côté. Puis elles nous rattrapent et nous mettent un jour au pied du mur. Celle qui est abordée ici, concerne la place dans le monde du travail des personnes plus fragilisées quelle qu’en soit la cause : handicap visible ou invisible, personne sans domicile fixe, sortant de prison, réfugié, etc.
Durant la Semaine européenne des personnes en situation de handicap, de nombreux débats ont été organisés en vue de développer des politiques d’emploi inclusives ; en effet notre société continue de résister aux incitations de toutes sortes pour leur offrir d’autres lendemains que l’exclusion ou l’assistance. Car quel est le lieu essentiel qui peut leur garantir une véritable reconnaissance, sinon celui du travail ? Deux chiffres en disent long sur la ségrégation qui sévit en France : le taux de chômage des personnes en situation de handicap est de 18%, soit le double de celui de la population ordinaire ; leur taux d’emploi avoisine les 3.5% dans le secteur privé, et 5.6% dans le secteur public, et cela en dépit des évolutions sociétales et juridiques.
Professionnels de santé, nous constatons chaque jour les souffrances vécues par ces personnes en situation de handicap, de la même manière que nous sommes témoins de l’isolement de nombreuses personnes âgées. Jusqu’à quand notre société induira-t-elle de telles exclusions, qui sont des dénis de fraternité et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, des pertes d’efficacité ? Car les employeurs qui ont fait le choix d’engager des personnes handicapées, comme le demande la loi, se félicitent d’avoir osé un tel pari. Pour deux raisons principales : d’une part, ces personnes sont remarquables par le sérieux qu’elles mettent à accomplir les tâches demandées ; outre les qualifications qu’elles ont pu obtenir au cours de leur formation, elles font preuve d’un fort investissement au niveau des postes qui leur sont confiés. D’autre part, ces personnes transforment leur milieu de travail et c’est « l’effet secondaire » le plus surprenant ; l’enthousiasme avec lequel elles se joignent aux autres, et développent chez eux des capacités relationnelles nouvelles, est contagieux. De là un véritable changement de regard sur le monde du handicap – qui peut demain nous concerner tous. Leur offrir de vivre dans un « milieu ordinaire » de travail, pourvu que les adaptations et compensations nécessaires y soient apportées, est le plus beau présent à leur faire, car c’est être au plus près de la vie sociale qu’elles ont le même droit que tous de vivre.
Quelques associations - relais (par exemple UP Emploi – Ensemble pour avancer ou Vivre et Travailler Autrement)[1] assurent un accompagnement des personnes pendant quelques semaines avant une recherche d’emploi, histoire de les aider à trouver confiance en elles, leur faire prendre conscience de leurs compétences et favoriser le développement de leurs capacités relationnelles. Ces formations comportent une semaine d’immersion accompagnée par un bénévole en entreprise en vue de la découverte d’un métier, d’une entreprise ou d’un secteur ; elles garantissent enfin un suivi personnalisé et une évaluation afin de réaliser les ajustements nécessaires.
Si le travail est pour nous une occasion d’épanouissement personnel et une possibilité de donner plus de sens à nos vies, il est pour ces personnes une véritable thérapie. L’entreprise qu’est l’officine peut être un lieu de découverte du travail d’équipe, un lieu d’apprentissage vers une plus grande autonomie, comme un lieu de prise de responsabilité. Accueillir une de ces personnes pendant une semaine ou l’embaucher après une période d’essai constitue un véritable acte citoyen témoignant de l’attachement aux valeurs humanistes fondamentales du soin et de la fraternité.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
[1]https://fr.ulule.com/up-emploi/news/
L'appel à l'aide aux aidants
Publié par le Quotidien du 24 octobre et par le Moniteur du 25 octobre 2019
Nous observons presque chaque jour, à l’officine ou lors de visites pour le portage des médicaments, que « le nombre croissant de difficultés vécues par les aidants a une incidence incontestable sur leur état de santé. »[1] Quelques chiffres confirment ce constat : 21% déclarent une détérioration de leur santé, 30 à 40% des aidants seraient dépressifs. Quant au risque de mortalité, il est 2.5 fois plus important chez les aidants.
La situation des aidants constitue un véritable problème de santé publique. Elle s’exprime de diverses manières : « Je n’ai plus un instant à moi », « Plus j’en fais, plus il - elle - semble agressif-ve et je ne le – la supporte plus ! »… L’accompagnement d’un proche, qui a débuté suite à la promesse de non-abandon d’autrui, peut en arriver à se solder par un syndrome d’épuisement, l’aidant ne trouvant plus de sens à son quotidien.
Il ne s’agit pas pour nous de trouver des solutions. Ni d’abréger la conversation par des « Il faut… » parfois péremptoires ou par un « Ca va s’arranger, ne vous inquiétez pas ». Ces plaintes sont de véritables appels à l’aide. Quelle que soit la maladie invalidante, elles nous disent que, derrière l’attention donnée à chaque instant et la fatigue croissante, il y a ce tiers ignoble qu’est la maladie ou la vieillesse venues s’immiscer dans la relation conjugale ou filiale ou parentale pour la malmener, voire la détruire. De là, culpabilité, sentiment d’injustice, peur du futur, deuil de la vie d’avant… participent à ce mal-être qui doit requérir toute notre attention de soignant.
Il est important que ces aidants trouvent les soutiens les plus divers pour faire part de leurs sentiments et émotions. Chez la majorité d’entre eux, il y a eu un engagement totalement gratuit mais sans prise en compte de la durée et/ou des exigences relatives à un tel accompagnement. Découragement, dévalorisation de soi, angoisse, impression d’incompréhension de la part de l’entourage viennent alors noircir leur quotidien. Sans compter ces sentiments paradoxaux brouillant encore plus la relation avec la personne malade : accepter que celle-ci soit à la fois présente et « absente », qu’elle soit parent tout en demandant les mêmes soins qu’un enfant , ou que la relation de tendresse ne soit que trop rarement reconnue… Comment alors avancer dans ces acceptations ?
Le souci de prendre soin d’autrui passe par celui de prendre soin de soi. Différents conseils peuvent être proposés : ne pas se croire indispensable, se dire que « faire ce qu’on peut, c’est faire ce qu’on doit », se faire remplacer pour dégager du temps pour soi, aller se ressourcer auprès d’amis ou d’associations spécifiques (Fondation France Répit, Association française des aidants…), s’évader grâce à des activités manuelles ou culturelles… Mais surtout ces dérivatifs risquent de provoquer chez l’aidant une prise de conscience essentielle de ses besoins comme de ses limites, étant entendu qu’ « on ne peut donner que ce que l’on a ». Il est vrai que les messages de nos média promouvant la performance et la réussite n’incitent pas à accepter notre fragilité et nos faiblesses ! C’est pourquoi l’écoute attentive de ces aidants ne peut que favoriser le changement de regard sur soi, une des principales clefs pour restaurer courage, lâcher prise et acceptation de l’autre tel qu’il est.
La vie des aidants est un chemin où émergent chaque jour de nouveaux défis et de nouvelles questions. Elle est aussi l’occasion de découvrir toutes les ressources humaines de compassion et d’abnégation. Aidons-les à « apprendre à danser sous la pluie, plutôt que d’attendre la fin de l’orage »[2].
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
[1] http://aidesauxaidants.fr/2009/06/02/la-sante-des-aidants-familiaux
[2] In Être proche-aidant de Rosette Poletti, Ed Jouvence
Comment concilier : soigner et prendre soin ?
Communiqué publié par le Quotidien et le Moniteur le 28 juin 2019
Eternel questionnement pour tout professionnel de santé et toute équipe soignante confrontés aux soins à procurer aux personnes âgées : à partir de quels critères déplacer le curseur entre ces deux postures que sont soigner et prendre soin ? Alors que le cure recourt au savoir-faire par lequel le professionnel met en œuvre ses compétences techniques de manière ciblée, le care fait appel à son savoir-être, acquis au fil des années et prenant en compte la personne en son entièreté.
Cette question commence depuis quelques années à préoccuper d’autres catégories professionnelles et gagne aujourd’hui l’ensemble de notre société. Pour preuve, une députée néerlandaise qui s’interroge sur la légitimité de traitements lourds pour les plus de 70 ans. D’où de vives réactions. Différentes raisons peuvent être avancées : allongement de la durée de vie, augmentation globale des dépenses de santé, peur de discrimination sociale voire d’abandon à l’égard des plus âgés comme des plus pauvres, déni collectif du vieillissement, attentes diverses des familles… Mais il est un point sur lequel certains experts tirent la sonnette d’alarme : après des années de croissance et de découvertes médicales et pharmacologiques, n’est-il pas temps de quitter un modèle biomédical exclusif qui a entretenu à souhait la confusion entre vieillissement et maladie ? N’est-ce pas le moment de changer de regard sur les dernières années de nos vies pour passer d’une surmédicalisation délétère, tant pour les personnes que nos finances publiques, à une attention prioritaire à la qualité de vie de chacun ?
Il faut ici rappeler que la « logique Alzheimer », pour reprendre l’expression du Professeur Olivier Saint-Jean et d’Éric Favereau dans leur livre Alzheimer, le grand leurre, a participé grandement à ce dérapage : on en est venu à « enfermer la vieillesse dans la maladie », avec l’effet pervers de marginalisation des aînés. Notre société s’est, pendant des années, donné bonne conscience en surmédicamentant ceux-ci, tout en demandant aux professionnels de santé de ne pas être trop regardant sur les conséquences d’un tel choix. Aujourd’hui nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la pertinence de traitements lourds, contraignants, sources d’iatrogénie, voire inadaptés. Jusqu’où faut-il soigner ? A partir de quand privilégier « le prendre soin » ?
En nous faisant croire que les dernières années de nos vies ne sont que pathologiques, en faisant de larges concessions à tous ceux qui considèrent que la dépendance est d’abord une affaire de marché rentable, notre système de santé vis-à-vis des ainés n’est-il pas devenu à son tour malade ? Bien sûr qu’au niveau de la santé des individus, il existe des inégalités, notamment en fonction de leur parcours de vie, d’où le devoir de soigner tout patient âgé comme les autres. Mais comment ce système peut-il développer d’autres stratégies pour aller dans le sens d’un « vieillissement réussi ». N’a-t-il pas intérêt à s’enrichir de tout ce que les sciences humaines et sociales nous ont appris depuis plusieurs années afin de soutenir tout désir de vivre ? Quant au simple regard porté sur chaque personne, n’oublions pas qu’il peut entraîner son bonheur ou son malheur !
Le pharmacien peut jouer un rôle important dans tous ces questionnements, aux côtés d’autres professionnels : en s’investissant entre autres dans le bilan partagé de médication, il participera à un véritable système qui prend à cœur le patient. Par sa compétence, son souci du respect des personnes et de leur entourage, il est un de ceux qui peuvent s’interroger sur le bien-fondé des traitements, en termes de gain de qualité de vie au milieu des autres.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
Littératie en santé, une notion bien utile
Communiqué publié par le Moniteur des pharmacies le 30 mars 2019
La communication reste parfois difficile avec certain(e)s de nos patient(e)s, particulièrement les personnes âgées et celles qui connaissent une certaine précarité sociale. Cette question fut évoquée lors de notre dernière journée de formation organisée avec des professionnels de milieux sanitaires et sociaux.
Pour aider les professionnels à avancer sur ce sujet, une nouvelle notion est apparue récemment : la littératie en santé. Stephan Van den Broucke, professeur de psychologie de la santé et des sciences de l'éducation de l'Université catholique de Louvain, la définit ainsi :"La littératie en santé correspond à la capacité des individus à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations utiles pour pouvoir fonctionner dans le domaine de la santé et agir en faveur de leur santé. On y inclut parfois aussi la motivation nécessaire pour utiliser ces compétences. Il s'agit donc d'abord d'éléments personnels. Mais il ne faut pas oublier le rôle du contexte, qui impose ses propres exigences."[1]Cette notion va donc au-delà de la lecture – écriture, elle implique les capacités de trier les informations, de déterminer l’information la plus fiable en prenant en compte les facteurs contextuels, et de l’intégrer à ses propres manières d’être, enfin de communiquer ses besoins particuliers, en vue de "prendre soin de soi".
Le niveau de littératie constitue un déterminant important de la santé : il a été démontré qu’un faible niveau de littératie - lié le plus souvent à un faible niveau de revenu ou d’éducation, à l’appartenance à un groupe minoritaire, et caractéristique de certaines tranches d’âge comme les 18-24 ans et les personnes âgées - correspond à une chance moindre d’être en bonne santé. Ce niveau va également de pair avec une moins bonne autogestion des maladies chroniques, une moindre sensibilité aux propositions de dépistage, une très faible participation aux programmes de promotion de la santé, comme à une augmentation du nombre d’hospitalisations et de réhospitalisations. Ceci a bien été développé par Christian Mongin, médecin au Comède (comité pour la santé des exilés).
En Belgique, les professionnels de santé se sont rendus rapidement compte qu’ils ne sont jamais perdants en "se mettant dans la peau" des personnes auxquelles ils s’adressent, ainsi qu’en prenant soin de leur expression. Et les preuves sont là : les consultations médicales, les appels téléphoniques, l'utilisation des soins d'urgence s'en trouvent diminués. L’intérêt va croissant, à tel point que le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) considère la littératie en santé comme un indicateur de la qualité des soins.
Alors, quand nous donnera-t-on, en France, les moyens de nous former et d’investir sérieusement dans l’éducation des personnes ayant un faible niveau de littératie ?
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
pharmacienschretiens.fr
[1]P. Dupuis : La littératie en santé : comprendre l’incompréhension in Revue Education Santé n°309 mars 2015
L’hospitalité à l’officine : occasionnelle ou essentielle ?
Communiqué paru le 11 décembre 2018 dans le Quotidien du pharmacien et le 15 décembre 2018 dans le Moniteur des pharmaciens
La dernière formation organisée par notre association avait pour thème : l’hospitalité. Parmi les nombreuses citations rappelées par notre intervenant Joël Ceccaldi, médecin et directeur du Centre aquitain de bioéthique, citons cette phrase de Louis Pasteur : "Je ne te demande pas quelle est ta race, ta nationalité ou ta religion, mais quelle est ta souffrance." Voici bien une invitation proposée à tout soignant pour le faire passer d'une préoccupation simple envers tout homme à une considération plus large à l’égard de tout l'homme. Dans nos officines, là où la déontologie demande de ne pas laisser seul(e) celui ou celle que nous avez accueilli(e), comment témoigner de notre sollicitude ?
D’abord réentendons ces paroles dites à l’officine ou au domicile : « Je me sens vidé, je n’ai plus le courage de vivre » ou « J’ai l’impression de ne plus être utile à grand-chose » ou encore « Je ne veux plus être une charge pour mes proches ». Ces paroles ne sont-elles pas comme des « perches » qui nous sont tendues pour que nous nous en saisissions et apportions le soutien attendu, chacun à notre manière ? Puis repensons aussi à celles et ceux qui ne s’expriment pas, mais dont les corps sont prématurément usés, parce que victimes du non-respect de leur dignité. Deux chercheurs, Jonathan Mann et Michael Marmot, ont d’ailleurs montré que l’absence de respect de la dignité est aussi néfaste pour la santé que les microbes et les virus !
Ces souffrances qui tentent de se dire ne peuvent être écartées d’un revers de main, car elles ont à voir avec un profond découragement, une réelle angoisse, une colère contenue... Elles réclament toute notre attention, de la même manière que nous ne sommes jamais indifférents à une plainte douloureuse. Cette détresse ne serait-elle pas l’expression d’un besoin « en creux », d’un manque d’ordre relationnel ? Quand existe un climat de confiance, ces sentiments de vide, d’injustice, de finitude et de confrontation au risque de mort ont besoin d’être livrés à un semblable apparemment disponible pour les recevoir.
Ces constats suscitent deux questions. La première concerne la crédibilité de notre profession. A l’heure où quelques pharmaciens se livrent à une « course à l’espace » pour ouvrir des officines de plus en plus grandes, notre réseau ne doit-il pas jouer la carte essentielle de l’hospitalité pour sa survie ? Et ne doit-elle pas entamer une réflexion au sujet de la spécificité de la « relation pharmacienne » ?
La seconde question a à voir avec le coût humain lié à cette prise en charge globale des patients. Le partage d’émotions avec la retenue qui s’impose, l’ajustement nécessaire pour recevoir ce que l’autre vient nous confier, l’acceptation de la part tragique de toute existence, tout cela n’est pas si gratuit ! Ces tâches ne sont pas exemptes de pénibilité, de consommation d’énergie, de questionnements intérieurs engendrant le doute sur ses compétences, sa posture et le sens de son implication. Aussi une telle bienveillance n’aurait-elle pas besoin de trouver des temps et des lieux de partage d’idées qui donnent à penser afin d’entretenir et approfondir notre souci d’autrui ?
Devoir au regard de la déontologie, vertu au regard de la philosophie, l’hospitalité ne peut qu’intéresser notre profession.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
Le domicile : lieu de vie ou lieu d’exclusion ?
Communiqué paru dans le Moniteur du 29 septembre et dans le Quotidien du 4 octobre 2018
Dans le cadre de la réorganisation de notre système de soins, de nombreux pharmaciens de ville seront amenés à s’investir davantage dans le maintien à domicile. La mise en place des soins coordonnés comprendra des temps de concertation, afin d’assurer justesse, cohérence et cohésion du suivi médico-social des personnes soignées. Grâce à cette nouvelle configuration, le souci de collégialité favorisera la constitution d’une « équipe soignante » et permettra de privilégier le choix des personnes visant leur intérêt comme celui de leur entourage.
Car si le désir profond des personnes est de rester « chez soi » et de pouvoir presque « vivre comme avant », on s’aperçoit que les besoins et les attentes de celles-ci sont parfois négligés. De là de multiples questions à reconsidérer périodiquement : comment faire en sorte que l’espace de vie parfois encombré de divers matériels et le rythme de passage de plusieurs intervenants soient au mieux respectés ? Comment éviter que le domicile perde son identité et son intimité, au point de ressembler à l’annexe d’un service hospitalier ? Comment assurer les prestations nécessaires, tout en évitant le turnover des intervenants si préjudiciable à l’établissement de relations de confiance (remplacements, difficultés de recrutement) ? Comment préserver au mieux la confidentialité d’informations sensibles ? Comment anticiper l’épuisement des aidants ?...
Se pose ici la question de prestataires extérieurs délivrant matériel médical et autres fournitures. Appelés directement par le pharmacien, ceux-ci agiront sous la responsabilité de ce dernier. Mais nous savons que d’autres interviennent sur ordre d’un service hospitalier, court-circuitant de fait le réseau pharmaceutique, et imposent leurs habitudes (stock pour un mois, matériel non conforme à la prescription…). Il semble alors nécessaire que « l’équipe soignante » mette un frein à ce type de pratique pour que seuls interviennent si besoin des prestataires compétents, réactifs, éthiques et respectueux des conventions.
Enfin un certain sentiment d’ingérence dans la vie privée peut émerger, en raison de certains regards indiscrets, de certaines connivences avec l’entourage, voire de jugements, qui affectent les malades et/ou leurs proches. Avec toutes les difficultés mentionnées précédemment, c’est le sentiment de dépendance qui s’accroît et vient altérer la qualité de vie, au risque de transformer le domicile en lieu de désocialisation et d’enfermement.
Pour le bien-être des personnes, le domicile doit demeurer comme un refuge, qui protège des menaces. Ainsi dans cette nouvelle configuration des soins coordonnés, comment chaque soignant s’impliquera-t-il pour concevoir et enrichir ce travail de concertation destiné à sauvegarder le domicile comme lieu de vie ?
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
L’OFFICINE : ESPACE DE LIBERTE ET DE RESPONSABILITE ?
Communiqué paru dans le Quotidien le 28 juin 2018
A la lecture de votre article du 14 juin concernant un refus de délivrance de la pilule du lendemain à un homme, il est légitime de se poser quelques questions face à une telle demande. En effet, non conditionnée par la présentation d’une ordonnance, cette délivrance ne se fait pas non plus de manière automatique. Elle impose d’abord une réflexion au cas par cas, ensuite le souci du suivi en cas de refus.
On peut évidemment tout imaginer à partir de cette demande d’un « homme qui vient chercher cette pilule pour sa fille ». Sans entrevue possible avec la jeune fille, comment évaluer l’urgence de la prise de pilule ? Ici au vu de son comportement sans en expliquer la raison, c’est le père qui vient créer ce sentiment d’urgence, mais l’insistance de la demande suffit-elle à satisfaire cette dernière ? La pharmacienne qui décide de ne pas honorer la délivrance se place délibérément du côté de la jeune fille, la soutenant dans sa volonté d’être respectée, quelle que soit sa décision. Aucune culpabilisation dans son refus de délivrance, aucune soumission à des mots d’ordre qui veulent régimenter notre société, aucune interrogation sur la gratuité ou pas de la pilule… Elle fait simplement « preuve du dévouement » souhaité par notre Code de déontologie envers tous les patients et fait tout pour « traiter » au mieux cette jeune fille en conformité avec le principe du respect de l’autonomie énoncée dans la loi du 4 mars 2002 : garante de la liberté de cette jeune fille, elle est bien dans la posture de professionnelle responsable.
Cette situation permet également de nous questionner sur le type de société auquel on tend à participer. Ce père comme l’internaute qui assiste à la scène semblent se référer à d’autres normes que celles de la jeune fille et de notre consœur : l’autorité du père est remise en cause, la logique de l’observateur en matière de commerce paraît chamboulée. Les choix de ces femmes viennent dé - ranger les préjugés de ces hommes, et c’est sur ce point que pour ceux-ci, il y a urgence : elles doivent rentrer dans le rang ! Ces affrontements ne révèlent-ils pas la domination pluriséculaire subie par les femmes ? Les nouvelles techniques de contraception, d’avortement et de reproduction traduites en droit : droit à la contraception, droit à l’avortement, droit à la P.M.A., correspondent-elles vraiment à de nouvelles libertés ? Si de nombreuses femmes trouvent leur compte dans ce type de législation car dépourvues d’alternative, celle-ci ne vient-elle pas quelque part peser davantage dans la vie de ces femmes, contraintes qu’elles sont de gérer seules leur fécondité ou d’obéir aux pressions familiales et/ou sociales ? Qui plus est, l’Etat en profite pour se décharger de ses responsabilités, favorisant par-là la dissolution du lien social et faisant disparaître ce qu’il ne veut plus voir : par exemple délaissement des filles-mères, marginalisation de la prise en charge des enfants handicapés… Enfin quid de l’obligation faite aux hommes d’assumer leur responsabilité ?
Car ce qui se joue dans ces débats n’est autre que le corps féminin. Marianne Durano, dans son livre Mon corps ne vous appartient pas, souligne que le slogan « Our bodies, ourselves » ne peut être traduit par « Mon corps m’appartient » mais par « Notre corps, nous-mêmes ». Et de poursuivre : « Mon corps n’est pas une propriété, un bien, il est la condition de tout bien… En instaurant une médiation entre la femme et son corps, la loi comme la technique font de ce corps un objet, livré aux mains d’étrangers auxquels je suis aliénée. » C’est cette même perception de leur corps qu’éprouvent cette jeune fille et notre consœur qui, sans se connaître, refusent une telle aliénation et le recours à des solutions toutes faites proposées par notre système technoscientifique. Système qui en vient de ce fait à discipliner toute féminité et pourquoi pas jusqu’à la faire disparaître, et qui nous a acheminés insidieusement… vers le déni de la différence des sexes.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
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Les leçons du Levothyrox®: "Ecoutez-moi !!"
Communiqué paru dans le Quotidien du pharmacien et le Moniteur des pharmacies (19 et 22 janvier 2018)
On se rappellera longtemps en France de l'affaire Levothyrox®. Le changement de formulation, initié avec le souci de commercialiser un produit plus stable dans le temps n'a pas fait que des heureux/ses1! Avec le recul, on s'aperçoit que les effets indésirables rapportés paraissent avant tout liés à des déséquilibres thérapeutiques, "y compris lorsque les valeurs de TSH restent dans les normes biologiques."2 Mais par suite d'une communication inefficace de la part du fabricant, mais surtout d'un déficit d'explication et de conseil de la part d'une majorité de soignants, un certain nombre d'"habitués/es" de cette molécule se sont sentis/es floués/es.
Cet exemple est à rattacher à de nombreuses situations au cours desquelles les patients ont le sentiment que leur plainte n'a pas été prise en compte: symptômes douloureux de toutes sortes, problèmes de sommeil, crises d'angoisse... Que de fois, nous, soignants, avons-nous entendu ces paroles : "Mais écoutez-moi!" ou "Si vous saviez..., mettez-vous un peu à ma place!". Même si nous avons dépassé l'idée de jadis que la douleur serait soit disant utile à la guérison, nous en restons, faute d'argument ou de patience, à ces formules passe-partout : "C'est normal!" ou "Ca va se passer, ne vous inquiétez pas."
Il est vrai que nos études ne nous avaient guère outillés pour affronter ces plaintes. Et pourtant combien de maîtres de stage ont entendu de la part de leurs étudiants le choix d'exercer en officine pour être en "contact avec les gens", sous-entendu d'être à l'écoute de ceux qui viendront se confier à eux. Alors comment soutenir ce désir si fort de s'intéresser à l'autre, avec évidemment toute la prudence et la délicatesse qui s'imposent ici? Comment se fait-il que de nombreux professionnels de santé qui ont opté au départ pour rester au plus près des autres et "prendre soin" d'eux, se "blindent", s'esquivent ou ne supportent plus de se trouver sans réponse?
A l'heure où certaines enquêtes3 tendent à démontrer que le pharmacien devrait devenir "un entrepreneur de la santé... avec un rôle de coordinateur (accompagnement de ses patients pour la prise en charge de rendez-vous avec divers professionnels de santé, ou pour différents aspects administratifs...)", moyennant rémunérations, n'aurait-il pas aussi intérêt à développer sa fibre relationnelle pour susciter tout le capital confiance tant attendu par ses patients? Et cela avec toute la gratuité que ces derniers espèrent: être écouté en toute simplicité, sans aucune arrière-pensée mercantile de la part de celui qui écoute, et qui doit rester à sa place, sans vouloir tout analyser... Notre société ne recherche-t-elle pas des femmes et des hommes d'écoute qui viennent apaiser à leur façon les multiples tensions que les uns et les autres vivent? Voeu pieux en ce début d'année, diront certains, mais qui permettrait de réduire le climat de violence de nos réseaux sociaux, quand nos concitoyens ne trouvent pas d'autre lieu pour exprimer leur désarroi ou leur ressentiment!
Cette disposition à porter attention à autrui va de pair avec une certaine dose d'humilité. Terme désuet pour certains, mais à ne pas confondre avec soumission ou résignation. C'est l'attitude dynamique qui permet d'accepter ses limites, d'abandonner toute volonté de tout maîtriser et de tout comprendre, et qui ouvre fondamentalement vers les autres. Elle est consentement à "prendre le risque de quitter sa zone de confort, pour rejoindre le patient afin de pouvoir l'écouter et lui servir d'appui"4 Cheminement incessant qui nous conduit vers une plus juste empathie avec l'autre, et la reconnaissance mutuelle de notre humanité.
Le Conseil de l'A.F.P.C.
1 3,3 millions de patients traités en France, dont 90 % de femmes
2 Fabien Duchet. Lévothyrox: pourquoi une telle crise? In Le quotidien du pharmacien 04/01/2018
3 notamment étude Satispharma/OpinionWay réalisée du 21/01/17 au 09/02/2017
4 Nicolas Rousselot. L'humilité dans le soin. In Médecine de l'Homme n°18 décembre 2017
Questions autour d'un contraceptif oral progestatif sans ordonnance
(communiqué publié début juin 2017 dans le Quotidien du pharmacien)
Il nous semble que, derrière la question de la délivrance d'un contraceptif oral progestatif sans ordonnance, émergent certaines problématiques importantes qui interrogent notre identité professionnelle et notre avenir.
En premier lieu, comme Norlevo® en son temps, ce type de médicament peut être considéré, par certains, comme l'occasion de ''s'affranchir'' de la tutelle du médecin : ''Le pharmacien peut lui aussi prescrire !!'' Il est vrai qu'une conscience professionnelle couplée d'une expertise scientifique et relationnelle permettent d'accueillir ''justement'' de telles demandes. Pourtant, même si une partie de notre profession attend de nouvelles possibilités d'émancipation, 63,9% de celle-ci ne sont pas favorables au délistage d'un tel produit1. Deux types de questions méritent alors d'être posées.
D'une part, les conditions générales d'exercice sont-elles toujours optima pour donner aux demandeuses la possibilité d'aller au-delà de la simple recherche de produit ? Comment s'assurer des conditions normales d'emploi et du suivi médical et biologique rigoureux, après un entretien pharmaceutique ? Les dispositifs actuels qui nous permettent d'assurer la traçabilité de nos délivrances sont-ils suffisants dans de telles circonstances ? Afin de mieux cerner les éventuelles difficultés, on pourrait se référer à la politique mise en place pour la contraception d'urgence. Malheureusement il est regrettable que les évaluations concernant les circonstances d'utilisation et les complications qui s'en sont suivies soient trop peu nombreuses. Hormis celles qui ont établi le constat de l'absence de diminution du nombre d'I.V.G.2 et la mise en évidence d'une corrélation positive entre l'utilisation d'une contraception d'urgence et le taux d'infections sexuellement transmissibles3... Aussi l'envie d'aller de l'avant ne peut passer par une posture revendicative.
D'autre part, nous devons également tenir compte de la démarche qui se met progressivement en place, celle d’une collaboration entre professionnels de santé, via des réseaux plus ou moins formels, pour le bien des personnes. Une telle demande de notre part, qui ne correspond pas à un souhait de la majorité de nos patientes, ne risquerait-elle pas de perturber le climat de confiance que nous essayons d’instaurer ?
Dernier point : un certain nombre d'usagers considère encore le pharmacien comme un simple distributeur, qui n'a qu'à s'exécuter, au nom du principe de respect de leur autonomie. Or il est important de faire valoir que, depuis le 1er février 2017, les Bonnes Pratiques de Dispensation s'appliquent à toutes les officines et mentionnent que ''le pharmacien a une obligation renforcée de conseil pour les médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire''. Notre profession doit être toujours là pour rappeler la dangerosité de tout substance médicamenteuse comme l'irresponsabilité patente lors d'un parti pris pour l'absence de suivi médical. On ne peut qu'espèrer que les principes de non-malfaisance et de bienfaisance guideront toujours nos décisions.
Les questions soulevées par la délivrance d'un contraceptif oral progestatif sans ordonnance ne peuvent être débattues qu'en dehors de tout positionnement idéologique ou corporatiste. Car en tant que soignant, il nous semble que la question ultime à se poser, en vue d'un discernement éthique vrai, reste : ''Qu'est-ce qu'on fait des personnes ?'' , cette question ne devant pas être perçue comme un stratagème en vue de prendre la décision à la place des autres....
Le Conseil de l'A.F.P.C.
1 Une majorité de pharmaciens sont contre in Le Quotidien du pharmacien n° 3350 (11 mai 2017)
2 Cf le rapport de 2011 de la H.A.S. et celui de 2009 du Professeur Nizan (signalant qu'entre 2002 et 2009, le nombre d'I.V.G. a augmenté de 22% chez les mineures)
3 Girma S. et Paton D. The impact of emergency birth control on teen pregnancy and STIs in J Health Econ 2011 Mar.
Un exemple d'alliance thérapeutique
(communiqué paru fin février 2017 dans le Moniteur des pharmacies et le Quotidien des pharmaciens)
Les relations avec les personnes en souffrance psychique sont bien souvent déroutantes et ne cessent de nous réinterroger à propos de nos compétences relationnelles comme de nos responsabilités personnelles et collectives. D'autant que plus de 20% de la population présente à un moment de sa vie un trouble mental. C'est la raison pour laquelle des infirmières, des travailleurs sociaux et des pharmaciens se sont retrouvés le 29 janvier dernier au cours d'une journée de formation, afin de mieux connaître les attentes de ces personnes, mais aussi de leurs proches, vis-à-vis de notre système de soins.
Plusieurs témoignages de personnes malades, de proches et d'associations ont pu nous éclairer sur leurs situations. Ainsi une personne soignée pour trouble bipolaire a pu nous faire percevoir l'angoisse éprouvée avant l'établissement d'un diagnostic : « C'est la peur d'un tunnel sans fin ! » Les crises délirantes comme les hallucinations pésent lourd dans la vie des personnes, car un long temps est nécessaire pour qu'elles « se réapproprient peu à peu leurs capacités sensorielles et intellectuelles ». Les retours d'hospitalisation sont parfois chaotiques pour les malades et leurs familles lorsque rien est prévu. Par ailleurs, les relations en famille sont source de grand malaise. Ici aussi, « l'annonce du diagnostic constitue un véritable raz de marée », déclare un père de famille. Le retour à un relatif équilibre ne peut s'effectuer qu'au travers de différents moments d'acceptation, moyennant la prise en compte des besoins de chacun, parfois difficiles à concilier.
La maladie psychique est avant tout maladie de la relation. Aussi pour aider les malades en souffrance et leurs proches, les soignants doivent faire preuve de toute leur attention. Il a été souvent évoqué, entre autres, la question de l'observance des traitements et celle de leurs effets secondaires. Mais surtout, que ce soit dans les services hospitaliers, les officines ou les services sociaux, chacun, à sa manière, doit développer un climat de confiance, le seul favorable qui permet à ces personnes de rompre l'isolement qui les enferme, en raison du sentiment de honte, de culpabilité, de stigmatisation et d'incompréhension de la part d'autrui. Ce climat de confiance doit également s'instaurer entre soignants, afin de signifier aux malades et à leurs proches qu'ils « ne restent pas seuls » dans leur souffrance. Il y a une véritable alliance thérapeutique à inventer entre soignants et avec ces malades et leurs proches : c'est principalement elle qui sera à l'origine du sentiment de sécurité qui les incite à dépasser cette épreuve et accepter leur traitement. « La reconstruction de chacun ne passe que par la confiance en soi, la confiance en l'autre, et la confiance en l'avenir. »
Le Conseil de l'A.F.P.C.
Joindre les soins à la bonne parole
(publié le 26 novembre 2016 dans le Moniteur du pharmacien)
Jeune femme au chômage, dépendante à la Prontalgine et qui envoie le plus souvent sa fille de 17 ans pour en racheter ; homme âgé en grande précarité, asthmatique, qui a du mal à réguler sa consommation de Ventoline ; femme âgée, soignée pour un cancer colo-rectal et de retour chez sa fille, après une courte hospitalisation, avec des doses anormalement élevées de morphine ... Des situations comparables, elles ne manquent pas et vous en connaissez tous !
Il est toujours possible de téléphoner au médecin ou à l'infirmière pour les informer de la situation ou obtenir des explications : « Oui, je sais, je lui en ai déjà parlé, elle m'a dit qu'elle irai consulter l'addictologue avec lequel j'ai pris contact » répond le médecin, « Je vais essayer d'y passer, je vais peut-être rencontrer son médecin demain chez un monsieur qui va pas bien » dit l'infirmière ... Et le pharmacien d'enchaîner avec un « Voulez-vous qu'on se voit ? » Réponse : « Oh je n'ai pas le temps en ce moment ! » C'est alors qu'on éprouve un réel sentiment de travail inachevé, et que subsiste l'idée qu' « il va falloir faire mieux la prochaine fois ! » Et puis le temps passe, passe trop vite...
Un certain nombre de confrères sont déjà engagés dans différents réseaux bien structurés (cancéro, diabéto, H.A.D. ...) ou dans des modes de fonctionnement de type P.A.E.R.P.A. (Personnes Agées En Risque de Perte d'Autonomie), là où le courant passe déjà entre divers professionnels. Mais les entrevues sont trop rapides, sans véritable partage des points de vue de chacun. Or la complexité des situations vécues par certains patients demande qu'on se mette autour d'une table, qu'on prenne le temps pour considérer attentivement chaque histoire de vie, et qu'on demande de faire droit aux différentes dimensions, y compris sociales et économiques, en vue de construire un véritable projet de soins. Elle exige la pluralité des approches dans un réel travail au service d'une connaissance mutuelle, sachant que chaque professionnel convoqué posséde une compétence spécifique et un savoir particulier des souhaits des patients.
La complexité des relations humaines ne facilite pas non plus cette mise en commun. Nous sommes dans une société qui fait plus appel à l'individu qu'à la personne ; or l'individu se suffit à lui-même, alors que la personne a besoin d'altérité. Par ailleurs, notre monde de la santé connaît ses conformismes, ses réorganisations et ses incertitudes. Dans ces conditions, comment ouvrir de nouveaux espaces de dialogue au service des patients et du bien commun, si chacun n'est pas instruit, à différents moments de sa formation, de l'importance d'une culture du dialogue et du soin ? Si chacun ne peut prendre conscience de l'importance d'une responsabilité commune dans cette aventure d'humanité ?
« La rencontre est la pierre angulaire du soin », comme aime le redire Bertrand Galichon, urgentiste et président du Centre Catholique des Médecins Français. Du coup, à l'heure où les étudiants demandent une formation universitaire plus pointue, n'est-il pas nécessaire de mettre en place des rencontres interdisciplinaires pour découvrir, à partir de « mises en questions » de situations réelles, l'intérêt de projets de soins construits à plusieurs ? D'expérimenter davantage des lieux de dialogue interprofessionnels, afin d'apprendre à mieux argumenter et approfondir certains jugements, comme de percevoir la chance d'enrichissement mutuel au cours de tels débats ?
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
Je soigne, nous soignons... mais pourquoi ?
Cas de conscience pour notre profession
* Aux sources de la pensée occidentale, la tragédie d’Antigone rappelle que, au nom d’une Loi supérieure (le devoir de donner une sépulture à tout humain !), il peut être nécessaire de s’opposer aux lois du roi refusant la sépulture aux ennemis de la cité.
Pour une alliance thérapeutique
De l'avis de tous, la coopération entre professionnels est aujourd'hui incontournable. Il en va à la fois de notre responsabilité personnelle comme de notre responsabilité collective, tant pour le mieux-être des personnes soignées que pour la viabilité de notre système de soins. Des dispositifs locaux et nationaux, type P.A.E.R.P.A., ont été mentionnés et ne peuvent que se développer. Mais cette synergie dans la prise en charge de ces personnes est accrue lorsqu'elle laisse une place aux familles ou aux proches. Catherine Olivet, présidente de France Alzheimer, a souligné l'importance de les prendre en compte. Et de l'avis de plusieurs participants, que ce soit dans le domaine de la petite enfance ou dans celui des personnes âgées ou handicapées, la volonté de l'entourage de s'impliquer ne peut être que soutenue, même si, au départ, le dialogue apparaît parfois difficile, avec des attentes à clarifier. Cette mise en commun des compétences et des qualités humaines de chacun constitue de la sorte une véritable « alliance thérapeutique » au service des personnes accompagnées.
Autre point évoqué : l'augmentation des burn out parmi les professionnels de santé. Véronique Desjardin, directrice de l'hôpital Mignot de Versailles, a insisté sur l'origine de ce syndrome d'épuisement : c'est la « souffrance éthique » vécue par ces professionnels qui à partir d'un certain moment ne peut plus être supportée. Accepter d'effectuer certains actes qui nous mettent en contradiction avec des valeurs personnelles équivaut à une véritable « trahison de soi ». C'est la raison pour laquelle le lieu de travail ne peut être considéré seulement comme lieu de performance, mais d'abord comme lieu d'humanité et d'alliance entre professionnels et patients.
Enfin Jean-Guilhem Xerri, biologiste des hôpitaux, spécialiste de l'exclusion et essayiste, a conclu cette journée en s'interrogeant sur les ressorts de l'alliance entre professionnels et usagers, depuis l'avènement de la démocratie sanitaire issue de la loi du 4 mars 2002. Même si la loi nous contraint de plus en plus à coopérer, elle ne peut à elle seule « mettre du souffle » dans nos activités. N'est-ce pas en se faisant « hommes de service » qui, à travers leur compétence, vont au-delà du nécessaire et du besoin, pour se faire présence auprès de chaque patient ? N'est-ce pas cette gratuité offerte par des équipes unies par leur foi en l'homme, qui donne à chaque patient la certitude d'être soutenu dans son épreuve et la possibilité de transcender ce qu'il a à vivre ?
Les étudiants poseraient-ils les bonnes questions ?
Et ceux qui vont rester sur le carreau ?
Depuis 3 à 4 ans, 2 officines par semaine tirent définitivement leur rideau et nous pouvons être inquiets du devenir de nos confrères. Considérant les réductions budgétaires en matière de santé, même si certaines promesses de rémunérations complémentaires nous sont faites par ailleurs, le monde officinal a raison de se sentir de plus en plus fragilisé. Chacun craignant à juste titre d'être concerné tôt ou tard. Du coup, la brûlante question de l'ouverture du capital habituellement posée par nos détracteurs réapparaît, mais aujourd'hui c'est une partie de la profession qui la fait ressurgir. Pourquoi pas ? Car c'est une question essentielle qui permet quelque part de nous repositionner quant à la qualité de nos services.
L'indépendance, ce pilier fondamental de notre exercice libéral, nous l'avons toujours chérie. Mais maintenant nous prenons conscience que cette indépendance est un luxe. Bien sûr qu'elle se justifie car c'est elle qui permet à chaque titulaire, avec l'aide de son équipe, de mener sa barque comme il l'entend, sans être soumis à un quelconque jugement ou ultimatum d'investisseur.
Dans ces conditions, comment ne pas penser à ceux qui vont rester sur le carreau ? Autrefois, une mauvaise gestion, la folie des grandeurs comme une totale inconscience pouvaient mettre des confrères dans une situation intenable. Aujourd'hui, vous pouvez être déstabilisé par le départ en retraite d'un ou deux médecins généralistes de la commune, la paupérisation d'un quartier suite à l'accroissement de chômeurs, un environnement hyperconcurrentiel après la reprise d'une officine par un confrère ou un groupe sans scrupules... Quant à nos confrères qui ne trouvent pas de repreneurs, ils s'essoufleront jusqu'à l'insuffisance respiratoire terminale...
Un syndicat a lancé un appel pour recenser les confrères qui vivent de grandes difficultés économiques.Et c'est tant mieux ! Mais est-ce suffisant pour motiver ceux qui en ont le plus besoin pour décrocher leur téléphone ou écrire un courriel, alors que l'expérience prouve que les plus enfoncés sont souvent les moins enclins à déclarer leur détresse ? Outre l'immense sentiment d'échec, le repli sur soi ou le déni constituent les moyens de défense les plus employés dans toute stratégie de survie.
Un « plan d'aide » ne peut-il pas être imaginé pour soutenir et accompagner nos confrères ? En premier lieu, recenser les aides qui existent ou pourraient être mises en place et les faire connaître à l'ensemble de la profession. Dans un second temps, des commissions multipartites départementales (ordre, syndicats, associations locales...) se constitueraient. Les pharmaciens engagés dans celles-ci se chargeraient de prendre contact par des visites personnelles avec les confrères susceptibles d'être les plus fragilisés, en vue de détecter les éventuels points faibles de leur économie. Puis selon les situations, il s'agirait de faire appel à des intervenants qui apporteraient leur concours selon leurs compétences et leurs ressources, et si besoin de susciter des regroupements réalistes tenant compte des contingences locales et humaines. Enfin pourquoi pas, un apport financier de solidarité de la part de la profession pourrait être constitué à partir de prélèvements complémentaires.
Notre indépendance a un coût. C'est entre nous que nous pourrons évincer toute tentative de subordination, laquelle entraînerait la perte de notre identité. A un tournant déterminant pour notre monde officinal, osons faire prendre au mot « confraternité » tout son sens et une réalité bien concrète. Des relations plus tenues entre nous permettraient d'assurer une meilleure sécurité économique pour chacun et une plus solide autonomie pour l'ensemble de notre profession.
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques (novembre 2015)
Pas si simple que certains le pensent !
L'exercice du pharmacien d'officine serait-il aussi simple que certains le pensent ! Un responsable politique a dit, il y a plusieurs d'années, qu'il suffisait de connaître son alphabet pour se tenir derrière un comptoir d'officine ! Niaiserie parmi d'autres...
Pour preuve, voici quelques exemples de difficultés auxquelles nous sommes bien souvent confrontés : renouvelement de CYMBALTA chez une femme en début de grossesse, demande quotidienne de NEOCODION de la part d'un adolescent, prescription mensuelle de 15 médicaments chez une femme de 92 ans, troisième demande de NORLEVO depuis 6 mois de la part d'une adolescente de 15 ans...
Ces situations qui nous embarassent, vous les connaissez tous. Et chacun essaie à sa façon de trouver la meilleure solution : appel du médecin qui ne veut pas revenir sur sa prescription car d'autres molécules antérieurement prescrites n'ont eu aucune efficacité, avertissements au sujet de la dépendance et mise en relation avec un addictologue qui s'est révélée sans résultat, prise de contact infructueuse avec le prescripteur harcellé par la famille de la personne âgée, adolescente désorientée qui ne veut plus vivre dans sa famille...
A vrai dire, de telles situations nous écartellent, car nos comptoirs ne sont pas ceux d'une banque ! Nous sommes au service de la santé des personnes, et quelle que soit la décision prise dans ces cas, nous demeurons insatisfaits.
Toutes nos interrogations révèlent une rupture de continuité dans la logique de ces prises en charge. Une éthique d'ordre professionnelle prennant appui sur notre compétence scientifique demeure évidemment indispensable : la connaissance des réserves d'un fabriquant dans l'utilisation d'une molécule durant la grossesse, la détection de plusieurs interactions ou la connaissance de contre-indication dans l'emploi répété d'une molécule ... sont incontournables, mais sont-elles suffisantes dans de pareils cas ? Même si certains considèrent ce niveau de questionnement suffisant, ne doit-on pas aller chercher aussi au-delà ? Peut-on continuer à valider un mode de pensée essentiellement binaire ? De telles situations ne déstabilIsent-elles pas nos normes et principes habituels et nous poussent à trouver d'autres repères ?
La rupture de continuité évoquée plus haut est avant tout lièe aux situations personnelles : femme enceinte dépressive depuis plusieurs mois, personne âgée “trop” aimée par sa famille, jeunes à la recherche de sens au travers de conduites irraisonnées... Et si une certaine émotion peut venir parasiter nos questionnements, ne peut-on pas reconnaître que, en plus de l'éthique d'ordre professionnelle, doit s'ouvrir un espace de réflexion intégrant la singularité de ces situations pour instaurer davantage d'honnêteté et d'authenticité dans nos décisions ? S'en tenir à des repères strictement scientifiques risque de faire oublier l'autre et ce qu'il vit dans ce qu'il a d'irréductible.
Une dernière question : pour avancer dans la résolution de ce type de conflit éthique, peut-on rester seul ? Ne risque-t-on pas de tourner en rond ou de rester bloqué par quelques a priori à vouloir résoudre ces situations complexes d'une manière isolée ?
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques (septembre 2015)
Persister dans une guerre des chefs ou s'unir
Le respect du pluralisme constitue un principe fondateur de nos sociétés occidentales : la vie démocratique ne peut se passer de débats d'idées qui ne font que la vivifier et le plus souvent la faire progresser. C'est ce qui se passait jusqu'à ces dernières années au sein de notre profession quand nos instances représentatives arrivaient à débattre et à présenter des propositions consensuelles et acceptées par la grande majorité des confrères.
Or il nous semble qu'aujourd'hui cette facilité de coopération soit en partie perdue, même si certains événements rassemblent encore les principaux représentants de notre profession. Une unité de façade est préservée mais le courant ne passe plus : il ne passe plus au sein du monde syndical, il ne passe plus entre celui-ci et la base. La divergence des démarches proposées par les 2 syndicats majoritaires, qui peut se comprendre en raison de la complexité de la situation et des incertitudes quant à l'avenir de notre système de santé, a créé une polarité excessive et préjudiciable à une véritable vitalité de la réflexion et des débats.
L'Ordre est là pour nous soutenir en défendant l'honneur de la profession et en incitant à toujours plus de rigueur dans nos exercices. Mais il n'empêche que la pertinence de la défense économique de l'officine a trop d'importance pour ne pas impacter sur l'engagement professionnel de chacun et la cohésion de la profession. De là une désorientation de celle-ci, une impression d'avoir été manipulée par des autorités utilisant au maximum nos divisions. Ajoutons à cela une pression administrative de plus en plus forte, une toute-puissance des professions médicales n'hésitant pas à remettre en cause nos compétences... Il paraît presque logique que de nombreux confrères se démobilisent et cherchent même des stratégies de survie ; en s'éloignant de quelques principes déontologiques et éthiques, ils détériorent ainsi l'image de notre profession.
Cet affaiblissement dans la représentation de notre profession à cause d'une guerre des chefs qui ne semble pas en finir, doit cesser. Car il en va de la suite des négociations prévues avec le ministère, de la qualité de nos relations avec la presse comme avec nos concitoyens. De là la nécessité d'une nouvelle configuration favorable au dialogue, qui ne passe que par l'union de toutes les instances syndicales. Les divergences ne pourront plus alors apparaître en plein jour puisqu'elles feront l'objet de débats internes, mais la présentation de revendications communes assurera de notre détermination et participera pour une mobilisation accrue du monde de l'officine. Rappelons-nous aussi que le 30 septembre dernier, notre profession a su retrouver les forces nécessaires pour démontrer sa volonté d'union. Gageons que le désir d'union de chacun soit entendu, car il n'est pas trop tard !
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
Déontologie et éthique indissociables pour notre avenir
La rédaction, par l'Ordre des pharmaciens, d'un document sur l'indépendance professionnelle est à saluer car le sujet est d'importance. Il est vrai que dans un climat de doute constant par rapport au mercantilisme de quelques industriels et de suspicion vis-à-vis d'un système sanitaire français quelque peu corrompu, rapeler quelques exigences déontologiques de base s'impose. Nos instances professionnelles ont la tâche de nous redire inlassablement, comme l'article R 4235-3 l'énonce clairement, que le pharmacien, quel que soit son secteur d'activité,"doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l'exercice de ses fonctions" et " s'abstenir de tout fait ou manifestation de nature à déconsidérer la profession".
Rappel nécessaire, mais est-ce que cela suffira, pour remettre de l'ordre dans nos pratiques et dans nos rangs ? En se limitant au secteur officinal, nous pouvons illustrer la situation par quelques exemples. Qui n’a pas reçu un représentant venant proposer des produits, souvent douteux quant à leur efficacité thérapeutique, arguant du plan de communication de son laboratoire, agrémenté d'un "vu à la télé" incontournable. Comment se fait-il que notre profession continue de supporter ce genre de discours ? Autre situation, lors de salons professionnels, où les ateliers – débats organisés pour promouvoir des stratégies plus rémunératrices ne manquent pas. Ainsi celui-ci : "Comprendre la personnalité du patient pous développer vos ventes". Le patient n'est-il pas explicitement considéré principalement comme une ressource à exploiter plutôt que comme une personne venant nous demander conseil ? Ou encore, à côté des laboratoires qui nous envahissent et viennent dénaturer nos vitrines, évoquons la politique de certains groupements qui imposent leurs gammes de produits conseil à promouvoir avec des quantités à ne pas discuter et une stratégie commerciale à respecter. Que devient l'équipe officinale chargée d'accompagner les patients dans leur traitement ? Ne tend-elle pas à disparaître pour mettre en avant une enseigne et un style?
Même s'il faut prendre en compte le contexte économique actuel, ne devons-nous pas cependant nous poser la question : ne subissons-nous pas davantage que nous ne prenons d'initiatives ? Notre indépendance et notre liberté d'entreprendre ne sont-elles pas mises à mal? Face à ces questions, notre code de déontologie suffit-il pour nous orienter ? Ses règles et ses devoirs déterminent un espace intérieur rassurant pour nos professions. Mais la "liberté de jugement" passe également par le filtre du discernement éthique. En effet la démarche éthique prend en compte la complexité du réel; elle nous fait réfléchir et nous aide à quitter les systèmes d'influence pour prendre une décision plus libre au lieu de la subir. De l'engagement personnel qui en découle, naît une responsabilité pleine et entière, prenant véritablement en compte les conséquences de nos choix.
Ce passage obligé par une initiation à la réflexion éthique avait été proposé en 2003 dans les recommandations du rapport "Ethique et professions de santé" rédigé par Alain Cordier, ancien directeur général de l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et créateur de l'espace éthique de l'A.P.H.P.. Il y faisait mention de la nécessité absolue d'intégrer l'éthique dans la formation initiale des différentes professions de santé. Ne pourrait-on pas envisager que des formations soient organisées tout au long du cursus universitaire, avec présentations de cas réels, favorisant ainsi confrontations et questionnements?
Respecter notre déontologie et pratiquer un discernement éthique sont indissociables pour affirmer une véritable indépendance professionnelle. Ils nous aident aussi à mieux concilier l'aspect individuel de notre exercice avec la dimension collective de notre profession. Mais cette cohésion ne commence-t-elle pas à être mise à mal aujourd'hui...? Aussi il devient urgent de la reconsidérer afin d’ assurer notre avenir.
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques (Avril 2015)
Objets de santé connectée : quelle pertinence dans le contrôle du "défaut d'observance"?
Les chiffres sont là : d'après une énième enquête, pour 6 maladies chroniques, le taux d'observance avoisine 40%. Pertes financières estimées à 9 milliards d'€ chaque année ! On le sait depuis longtemps, mais ce constat devient de plus en plus accablant pour une majorité de professionnels de santé. D'où la multiplication des initiatives.
Ateliers E.T.P., entretiens pharmaceutiques, accompagnements téléphoniques portent leurs fruits, même s'il est sûr que le milieu hospitalier recrute beaucoup plus facilement que le milieu libéral et pour cause : les patients n'ont pas le choix ! Plus problématique : la promotion d'outils connectés : piluliers high-tech, applications mobiles qui rappellent les prises de médicaments, avec amendes ou incitations financières, jusqu'au gain de bons de réduction auprès de commerçants partenaires expérimenté aux U.S.A... On le voit, les risques de dérapage ne manquent pas dans notre société consumériste.
Et pourtant, ces aides pédagogiques et techniques sont utiles pour permettre au patient de commencer à devenir acteur de sa santé. Avancer dans la compréhension de son traitement est indispensable pour l'accepter. Quant à respecter des traitements lourds avec x comprimés à prendre 2h avant le repas, au moment des repas, 1h après..., un signal de rappel peut être fort appréciable. Mais ces aides ne peuvent qu'être complémentaires à un suivi personnalisé. Chaque patient reste singulier et demeure un sujet pensant. Renvoyé seul par exemple avec un outil impersonnel et souvent conçu pour le surveiller, sa liberté refera tôt ou tard surface, son désir d'autonomie le rappellera à l'ordre.
Car la personne atteinte d'une maladie chronique doit se mettre en chemin dans un travail d'acceptation de sa maladie et trouver les ressources en vue de l'acquisition de nouvelles habitudes de vie. Subsistera toujours à un degré plus ou moins important l'ambivalence liée à notre nature humaine. Qui n'a pas entendu par exemple ces réflexions de la part de la même personne : « J'en ai marre d'avaler tout ça » et quelque temps après : « Je dois prendre soin de moi pour m'occuper de mes petits-enfants ». Ces allers et retours dans la motivation à se soigner sont constants. Cette ambivalence doit être écoutée et réécoutée plus d'une fois. Pour chacun de nous, tels que nous sommes constitués, la relation prime par rapport à l'outil aussi sophistiqué soit-il.
Dans le soin à prendre auprès de chaque patient, c'est cette relation qui doit être soignée dans la durée. C'est par elle que passe notre compétence scientifique et technique mais aussi notre engagement par le dialogue auprès des personnes, le tout développant progressivement le climat de confiance que tous les patients attendent. Chaque soignant doit se rappeler qu'il lui est indispensable de procéder à un décentrement tel que, pour le patient, « ces deux petits mots que sont : ma vie », selon l'expression du philosophe Gabriel Marcel, seront pris en considération.
Chacun de nous opère tout au long de sa vie un travail personnel de structuration et de maturation. Celui-ci peut passer par l'expérience de la maladie, occasion parfois bien douloureuse de grandir en humanité. Et le pharmacien, comme tout soignant, peut être cet autre qui accompagne le patient dans ce processus. Mais qui dit que cette relation soigné – soignant ne peut pas devenir à son tour pour le soignant occasion de maturation personnelle ?
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
Soi-disant nantis … mais quand même nécessaires !
Belle initiative que celle de la H.A.S.! Après une brochure intitulée Oser parler avec son médecin mise en ligne en décembre 2013, fait suite une brochure Parler avec son pharmacien de juillet dernier. « Le pharmacien connaît vos médicaments », il est à même « de vous donner des explications et à vous aider pour éviter des erreurs ... faut-il encore que vous lui demandiez ! Le D.P. n'est pas oublié. Le coup de téléphone au médecin est aussi mentionné. Enfin le pharmacien est présenté comme un de ceux qui peuvent conseiller au sujet d'informations et de produits qu'on trouve sur internet.
Ce texte donne une vision juste du pharmacien : professionnel compétent, indépendant et disposé au dialogue. Il revalorise aussi l'officine, véritable espace de santé au sein de notre système de soins : grâce à une équipe qualifiée, tout public a la possibilité de venir se renseigner et «comprendre ce que je dois faire, quand et comment et pourquoi ». On va chez son pharmacien, comme on va chez son médecin, on n'est plus dans un lieu neutre : on vient chez des professionnels de santé qui vous connaissent. Superbe plaidoyer vis-à-vis d'attaques réitérées de tous bords qui visent à banaliser le pharmacien, son équipe et le médicament.
Drôle d'État qui nous désigne comme des nantis et qui en même temps reste conscient que notre réseau apporte une valeur ajoutée grâce à notre monopole de compétence. Ceci ne peut que nous encourager à développer des services en lien avec une meilleure utilisation des médicaments. Souvenons-nous en au moment où certains confrères sont tentés par quelques dérapages plutôt mercantiles.
Mais on le sait tous : ces services sont exigeants. Ils ne peuvent se faire sans prendre le temps de connaître ce que vit chaque patient, d’approfondir ses représentations du médicament et d'évaluer ses attentes par rapport au traitement. Soit dit en passant, vu la disponibilité que ces services demandent, la rémunération qui nous est aujourd'hui allouée (ex suivi AVK) reste dérisoire, risquant d'en décourager plus d'un. Mais il n'empêche qu'il y a toujours une part de gratuité qui passe à travers notre exercice, celle-là même qui donne vie à des rapports marchands trop encadrés et qui participe de notre reconnaissance publique. Pour preuve, la porte du pharmacien est toujours ouverte...
Oui, les pharmaciens et leurs équipes ne regardent pas à donner du temps pour ce qui ne compte pas dans leurs bilans de fin d'année, mais qui a tellement d’importance du côté humain. Il faudrait le revendiquer davantage : les «soi-disant nantis » donnent de leur temps et de leur énergie gratuitement. Comme la plupart des professionnels de santé, nous aussi, officinaux, ne sommes pas indifférents au vécu de nos patients, confrontés à la fragilité humaine, voire à la misère qui dans certains quartiers ou régions ne fait qu'empirer au jour le jour. La pharmacie reste un des derniers lieux où le temps de parole n'est pas assorti d'un honoraire. Nous savons écouter, informer, expliquer, conseiller, travailler avec d'autres lorsque cela est nécessaire, et (re)tisser du lien social dans une société de plus en plus atomisée et précarisée par l'égoïsme ambiant. Car la santé de chacun est aussi dépendante de la considération que les autres ont à leur égard. C'est jusque là que nous assurons les responsabilités liées à notre monopole de compétence.Notre inscription dans la profondeur de la relation humaine reste inestimable et rappelle à tous que c'est celle-ci qui est première. Elle donne de la densité à notre quotidien et c’est probablement une des raisons pour lesquelles les français nous accordent toute leur confiance. N’ayons pas peur de le dire !
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
octobre 2014
Souviens-toi, pharmacien !
Pharmacien, souviens-toi !
Souviens-toi quand tu étais jeune et que tu t’interrogeais sur le métier que tu allais choisir !
Souviens-toi de ton espoir d’avoir une profession qui te permette d’avoir les moyens de vivre heureux mais aussi de servir les personnes malades, vulnérables, handicapées, dépendantes et vieillissantes !
Souviens-toi du grand désir de servir qui t’a permis de traverser des études parfois arides, souvent heureuses et prometteuses !
Tu te voyais déjà en officine à écouter, conseiller et soigner. Tu rêvais d'échanges avec d'autres soignants pour une prise en charge globale des personnes. Tu te projetais dans un laboratoire mobilisant tes connaissances et ton savoir technique pour faire des analyses les plus précises possibles au service des diagnostics et des traitements les plus fiables. Tu rêvais de recherches et de grandes découvertes sauvant des milliers de vies humaines, redonnant espoir à des parents d’enfants atteints de maladies détestables, offrant des vies plus longues et de qualité à tes contemporains dont tu te sentais si solidaire.
Oh ! que tout cela te semble bien loin quand les patients te traitent comme un prestataire de service interchangeable, quand les médecins te renvoient à n’être qu’un délivreur de leurs prescriptions, quand tu passes tant de temps à télétransmettre, à débattre avec les grossistes, à répondre aux appels de ton banquier, quand les tutelles te contrôlent et te soupçonnent, quand les ténors des hyper et supermarchés veulent réduire les médicaments à de simples produits de consommation et faire disparaître les officines de proximité !
La grande menace est l’usure, le défaitisme, …la tristesse !
Pharmaciens, souviens-toi de tes rêves de jeunesse, ils peuvent reprendre corps aujourd’hui !
Sois sûr que tes espérances d’autrefois étaient aussi celles de tes collègues. Raison de plus pour ne pas croire que chacun va s’en sortir seul. L’individualisme est la force et la faiblesse de nos professions. Comment sauver ce qui fait que chacun est unique en se mobilisant ensemble ? Comment à nouveau concrétiser nos rêves de jeunesse en découvrant la force du partenariat et de la confraternité ?
Sache que Monsieur Édouard L. lui aussi va mourir et qu’il n’emportera pas ses milliards dans la tombe ou le crematorium !
Raison de plus pour faire à nouveau de ce temps au comptoir, au laboratoire, en cours, un temps unique de rencontre et de dialogue ! Cette satisfaction du travail bien fait et de la rencontre vraie, rien ni personne ne pourra te la ravir. Et quelle que soit l’issue, quand cette rencontre et ce service ont lieu, quand le partenariat et la confraternité sont vécus, tu goûtes, nous goûtons déjà, la force et la joie du vrai, du beau, du bon, … un avant-goût d’éternité !
Jacques FAUCHER, Association Française des Pharmaciens Catholiques
octobre 2014
Prendre soin au quotidien
Suite à la journée d'éthique organisée en partenariat avec l'ACMSS le dimanche 2 février 2014, voici le compte-rendu envoyé et publié par la presse professionnelle.
C'est autour de ce thème qu'une journée de réflexion a été organisée par l'AFPC - Association Française des Pharmaciens Catholiques - en partenariat avec l'Association Catholiques des Milieux Sanitaires et Sociaux. Cinq interventions de professionnels (une pharmacienne adjointe, une enseignante en faculté de pharmacie, une infirmière en service de psychiatrie, une assistance sociale et une bénévole écoutante à la Fédération Française de Diabétologie) ont permis de montrer que le souci de l'autre ne se cantonne pas au domaine sanitaire. Puis l'intervention de Walter Hesbeen, professeur de santé publique à l'université de Louvain, a permis d'élargir la réflexion.
Une question centrale se pose à tout soignant : comment demeurer dans "cette vigilance dont la visée est le bien de l'humain" ? Car le risque de banalisation de l'humain est constant, contribuant à ce renversement par lequel le sujet qui requiert toute notre attention devient objet qui doit se soumettre, au risque de se voir mis de côté, voire exclu.
Pour Walter Hesbeen, ce questionnement "conduit à interroger nos manières d'être et de faire en regard de la singularité des situations. Une telle éthique se montre soucieuse de la façon particulière qu'a l'humain de vivre ce qu'il a à vivre".
N'est-il pas là le point névralgique qui conditionne notre attention vis-à-vis d'autrui ? Reconnaître l'autre en ce qu'il a d'unique, quelles que soient sa condition physique, psychique ou sociale, et ne pas le réduire à ce que nous en voyons. Du coup un rapport de confiance pourra seulement s'établir lorsque cet autre aura perçu qu'il se trouve respecté et que, selon l'expression du philosophe Gabriel Marcel, « ces deux petits mots que sont : ma vie » seront pris en considération. Seul un décentrement par rapport à soi, ses connaissances et ses a-priori permet un véritable ajustement à l'autre. Et c'est alors que les compétences scientifiques et techniques de chacun pourront s'adapter judicieusement aux réels besoins de la personne.
Enfin cette disposition vis-à-vis de l'autre vaut également à l'encontre de nos collègues. « Une atmosphère soignante » ne peut exister qu'à la condition que chaque soignant se trouve reconnu et apprécié pour ses compétences et ses qualités relationnelles. De là aussi l'importance du travail en équipe pour croiser nos regards et exercer avec la plus grande bienveillance.
Février 2014, le Bureau de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
Revaloriser le médicament ne peut que revaloriser le travail de celui qui le dispense !
Déjà en 2008, une étude demandée par la Société Française de Médecine Générale s'était penchée sur la « qualité de la prescription médicamenteuse ». Parmi les résultats, il était mis en évidence une proportion élevée de prescriptions hors A.M.M. En effet sur 8733 ordonnances et 35296 lignes de prescriptions, 40,8% des ordonnances contenaient au moins une ligne hors A.M.M. et 19,3% des lignes de prescriptions étaient hors A.M.M.. (Précisons que ces prescriptions étaient jugées hors A.M.M. en raison de la posologie, du schéma thérapeutique, de la durée de traitement ou de l'indication.)
Un sondage tout récent révèle que 78% des généralistes prescrivent hors A.M.M.. Les chiffres sont donc tout aussi impressionnants. Le respect de la sacro-sainte liberté du prescripteur nous dispense-t-elle de nous interroger sur ce type de prescriptions ? Car il nous semble que celles-ci sont à rapprocher des deux crises sanitaires que nous venons de traverser. Même s'il n'est pas toujours facile de les repérer et d'en cerner les raisons, pour éviter que de telles situations ne se reproduisent, devons-nous continuer à accepter un certain mésusage des médicaments prescrits ? Certes il ne s'agit pas de trahir le secret médical, mais ne faudrait-il pas obliger les prescripteurs à justifier de telles prescriptions ? N'oublions pas non plus que d'une part elles génèrent un coût financier et que d'autre part, depuis la loi de mars 2002, tout professionnel de santé a l'obligation d'informer le patient sur l'emploi non validé du médicament et des risques encourus.
Si nous voulons vraiment être garants de la qualité, de la sécurité et de l'efficacité des soins grâce au traitement médicamenteux, trois questions sont à mettre à l'ordre du jour pour notre profession :
- Est-elle prête à investir pour acquérir un niveau de formation suffisant et ainsi assurer qualité et sécurité tout en générant des économies s'inspirant notamment de ce qui se fait au Canada, en Suisse ou aux Pays-Bas ? A noter que le refus de délivrance y est reconnu comme véritable acte pharmaceutique et est à ce titre rémunéré.
- Notre profession n'aurait-elle pas intérêt à recadrer davantage les pratiques professionnelles. Alors qu'une partie de nos confrères désire aller de l'avant pour proposer des services de qualité, d'autres se comportent en véritables affairistes ! Ne pourrait-on pas envisager qu'une étude puisse évaluer la qualité de nos délivrances ?
- Enfin n'avons-nous pas à prendre de la distance par rapport à l'industrie, que ce soit en ne laissant plus les laboratoires envahir nos officines pour étaler leurs produits pré vendus par les média, ou en veillant à ce que nos sources de formation soient totalement indépendantes ? C'est aussi en développant un esprit critique vis-à-vis du médicament que nous pourrons parfois nous rendre compte que le bénéfice / risques du traitement n'est pas toujours favorable pour le patient.
De multiples forces dé-valorisant le médicament tendent à s'imposer aujourd'hui. Résistance et initiatives doivent être plus que jamais à l'ordre du jour pour revaloriser le travail de ceux qui le délivrent.
25 mars 2013, le Bureau de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
La raison sanitaire l'emportera-t-elle sur la raison économique ?
Selon un projet d'avis de la Commission de la Transparence, les contraceptifs oraux de troisième génération pourraient être déremboursés en raison d'une augmentation du risque thromboembolique veineux*. De nouvelles études sont en cours pour une réévaluation de leur intérêt.
En 2002, cette Commission avait déjà conclu que cette catégorie de contraceptifs à base de désogestrel, de gestodène ou de norgestimate n'apportait pas d'A.S.M.R. comparée à celle de seconde génération à base de lévonorgestrel.
D'où une série d'interrogations : le déremboursement de ces médicaments va-t-il diminuer le nombre de prescriptions ? Quelle crédibilité accorder à des structures chargées de la santé publique quand elles tolèrent la présence de tels produits et hésitent à s'opposer aux laboratoires fabricants ? Avec in fine la question suivante : qui gère vraiment les questions de santé dans notre pays ? En effet quels intérêts privilégie-t-on : ceux des laboratoires pharmaceutiques en maintenant des produits inquiétants (avec dans ce cas précis des risques de survenue d'accidents thromboemboliques et donc d'A.V.C. ischémiques) ? Ceux des femmes à qui on les prescrit, alors que d'autres molécules présentent moins de risques ?
Et au comptoir, face à la prescription de tels produits au rapport bénéfices / risques plutôt défavorable, que devons-nous dire ? D'autant que les patients entendent profiter du « meilleur médicament ». Même si notre code de déontologie et l'alliance thérapeutique qui nous lie au prescripteur nous invitent à ne pas remettre en cause sa prescription, la confiance et le contrat d'honnêteté qui nous lie aux patients, ainsi que leur droit à disposer d'une information fiable concernant leur santé et leur traitement, nous obligent également à dépasser une banale fonction de distributeurs.
Par conséquent, afin que dans notre exercice officinal, le droit et l'éthique puissent être respectés, parions que l'H.A.S. fasse preuve de suffisamment de fermeté quand elle auditionnera les laboratoires concernés, en vue d'interdire tout produit pouvant nuire à la santé.
Le raison sanitaire doit l'emporter sur la raison économique !
*réalisé par le Journal International de Médecine et publié le 19 mars 2013
Lettre envoyée le 11 septembre 2012 à la presse professionnelle par le Conseil d'Administration de l'A.F.P.C.