Cette rubrique est le lieu de débat de sujets d'actualité, parfois en lien avec des problématiques difficiles à vivre au quotidien pour le pharmacien.
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Qu’est-ce qui nous a fait tenir ?
mai 2021
La fin du tunnel est proche, espérons- le, car ces différents confinements nous ont « sonnés » : pour nous qui n’avions jamais connu de situations similaires, comme une guerre ou un cataclysme, il y avait cette impression étrange d’un changement d’espace – temps.
Dans nos officines, nous avons dû réorganiser l’espace : plexiglass en tous sens, précautions extrêmes dans nos relations avec nos patients... Le temps lui aussi s’était transformé : nous avons dû adapter nos emplois du temps aux exigences de nos quartiers, vivre au rythme des ordres et contrordres de nos autorités de tutelle, rassurer nos patients inquiets, angoissés voire désorientés, mais aussi jamais autant ronger notre frein face à des clients s’autorisant des demandes exagérées…
Allons-nous pour autant tout oublier ? Cette crise, nous l’avons vécue comme une épreuve, mais au-delà de ce constat, il n’est pas inutile de nous poser la question : qu’est-ce qui nous a fait tenir dans cette vie-là ?
Le plus souvent, celles et ceux qui ont traversé une épreuve, en sortent grandi(e)s. Pour nous, qui vivions jusqu’à maintenant une vie « tranquille », cette crise a permis de nous rappeler le choix de vie que nous avions fait au début de nos études. Cette nécessité de tenir le coup est allée se ressourcer au plus intime de nous-mêmes, là où nous avions décidé de nous « vouer-à-autrui » selon l’expression du philosophe Emmanuel Lévinas. Ainsi durant ces mois, à la faveur de la dé-couverte de ce qui avait été plus ou moins oublié, nous avons été portés par cette évidence que nous étions « bien à notre place ». Prendre soin de celle ou celui qui nous présente ses besoins, son mal-être, sa souffrance ; il est bien là le sens de notre vie, venant de la sorte remobiliser l’estime de soi.
Si aujourd’hui la crise nous laisse une charge de travail supplémentaire (gestion des ordonnances reçues par fax ou e-mail, organisation des tests et des vaccinations anti-COVID…), elle a permis à nos équipes d’être confirmées comme professionnels de santé. L’ambiguïté qui existait sur notre statut a disparu au regard de toutes ces nouvelles missions qui nous ont été confiées dernièrement. C’est en raison de la fidélité de notre profession à ses engagements envers le corps social, que ses représentants, en retour, nous accordent leur confiance et nous reconnaissent véritablement soignants.
Ainsi lors de telles séquences de vie plus ou moins tourmentée, nous pouvons prendre conscience de ces trois types de soins et de leur intrication: sollicitude envers autrui, souci du corps social et estime de soi. Chaque niveau est indispensable à la qualité de nos actes : un soignant qui aurait perdu l’estime de soi n’oublierait-il pas la singularité de chaque personne ? Pourrait-il vraiment exercer avec empathie ? Une relation de soin qui se ferait sans « l’amour du métier » aurait-elle encore le goût de l’humain et serait-elle toujours attentive à la vie ? Ainsi, après avoir répondu à un appel originel, chacun(e), à travers les imprévus de la vie, peut redonner du sens à son engagement et continuer d’assurer quotidiennement cette présence.
Jean-Philippe Delsart
Période inédite, services inédits
Ce texte a été envoyé à la Conférence des Evêques de France en juin 2020
La crise sanitaire que vient de vivre notre pays a fait chanceler notre système de soins. Malgré le manque de préparation évident pour affronter une telle pandémie, l’ensemble des soignants a trouvé jour après jour l’énergie suffisante pour faire face et même se surpasser : ce temps de vie « avec le virus » a réveillé, chez eux comme chez tant de nos concitoyens, le désir du service d’autrui. A partir de ce qui s’est vécu dans les équipes officinales, quel est le bilan de leur participation dans ce « combat » ? Quelles initiatives ont pu être mises en place ? Quelles questions notre profession doit-elle retenir de ce temps d’épreuve ? Nous savons aussi que tout moment de crise suscite de nouvelles opportunités. De quelle nature seront-elles ? Quelles ouvertures, quels déplacements la profession peut-elle tenter pour un renouvellement de ses pratiques ? Période inédite, services inédits, « pas de côté » inédits !
- Faits marquants durant ce temps de pandémie
Après la frénésie des tout premiers jours de confinement en raison des multiples demandes de renouvellement d’ordonnances, les espaces publics des officines ont été rapidement réaménagés pour obéir aux protocoles imposés par les autorités sanitaires. Décor impensable peu de temps auparavant, mais sécurité oblige, quitte à amputer la qualité des échanges.
La préparation de S.H.A. (solution hydroalcoolique) fut une des premières priorités. Car il est évident qu’aucune officine n’avait en stock les quantités suffisantes pour honorer toutes les demandes. Même si peu après le début du confinement, les pharmaciens ont eu l’autorisation de fabriquer ces solutions, nombre d’entre eux ont rencontré les pires difficultés pour trouver des fournisseurs ayant des réserves suffisamment importantes en alcool. Des réseaux se sont alors progressivement constitués pour satisfaire toutes les demandes. Autre problème : lorsque les solutions pouvaient être préparées, les contenants ont manqué…
Les officines ont été des lieux d’approvisionnement en masques. D’abord l'Etat avait réquisitionné les stocks avec interdiction de les vendre aux patients, car soi-disant « inutiles » pour la population. Par la suite, que d’ordres et de contrordres ! Car aucune instance ne se devait être absente du débat : D.G.S., A.R.S., Ordres national et régional des pharmaciens, syndicats nationaux et départementaux ! Cette cacophonie fut un des facteurs générateurs de stress pour les équipes, avec la peur de se trouver en faute. Puis quand des experts ont jugé nécessaire la généralisation du port du masque, les masques ont tardé à arriver en officine. Il faut dire qu’un autre intervenant avait commencé à se rapprocher de certains décideurs pour s’accaparer le marché : la grande distribution avait bien l’intention de s’imposer. Heureusement, en plus des premiers arrivages, des réseaux ont pu là aussi s’organiser pour profiter de fabrications locales. D’une manière générale, les officines ont commencé à pouvoir répondre à partir de mi-avril aux demandes des soignants et des patients à risques et âgés. Au total, beaucoup d’incompréhensions exprimées par la population, mais aussi beaucoup d’injustice ressentie par les équipes : par exemple de nombreuses aides à domicile qui n’avaient pas de masques ont préféré abandonner leur poste, temporairement parfois même définitivement, par peur d’être contaminées...
Autre facteur de stress : les directives concernant les conditions de renouvellement exceptionnel des ordonnances. Renouvellement d’ordonnances périmées jusqu’au 31 mai, puis jusqu’à fin juin… Problème supplémentaire avec les prescriptions particulières d’hypnotiques, d’anxiolytiques, des traitements substitutifs aux opiacés, des molécules en A.T.U. (autorisation temporaire d'utilisation), de dispositifs médicaux... Véritable casse-tête car seule l'application stricte des directives du moment conditionne le remboursement des produits délivrés. Sans oublier quelques altercations avec des prescripteurs étonnés de ne plus voir un certain nombre de leurs patients.
Comme dans les services hospitaliers, une grande solidarité a été vécue au sein des équipes officinales. Par exemple, des aménagements au niveau des horaires ont été facilement trouvés pour rendre service à certains salariés ; une titulaire a "soutenu" son équipe en proposant des compléments alimentaires à visée fortifiante. Grande solidarité aussi entre pharmacien.e.s : outre la constitution de réseaux informels pour se procurer masques et alcool, certain.e.s, jeunes retraité.e.s ou encore en activité quand ils le pouvaient, se sont proposé.e.s pour aller aider ou remplacer des consœurs / confrères malades ou retenu.e.s pour la garde de leurs enfants. De nombreux étudiants ont accepté de venir renforcer des équipes en sous-effectifs.
A l’exemple de tous les autres soignants, les équipes officinales se sont fortement mobilisées pour rappeler les gestes barrière indispensables et alerter sur les premiers symptômes. Certains pharmaciens ont réalisé des fiches pratiques pour une bonne utilisation des solutions hydroalcooliques, ou des fiches conseil en cas de difficulté d'endormissement ou d'insomnie... Un réel climat d'angoisse était perceptible, cette crise révélant la vulnérabilité de notre condition et l’absence de traitement ad hoc et de vaccin nous mettant face à notre relative impuissance à tout contrôler. Au total, une bonne dose de disponibilité et de patience pour apaiser nombreuses personnes paniquées et rectifier certains messages catastrophistes. En même temps, les demandes spontanées d’anxiolytiques et d’hypnotiques ont fortement augmenté. Sont aussi apparues des ordonnances périmées ou falsifiées, voire des fausses ordonnances. De nombreuses tensions ont surgi suite aux demandes orales et fausses ordonnances de chloroquine et d'hydroxychloroquine. Par exemple : certaines personnes réclamaient de la chloroquine pour un voyage à l'étranger, alors même que nos frontières étaient fermées. Un grand-père médecin avait prescrit à titre préventif, pour son petit-fils atteint de troubles neurologiques, hydroxychloroquine et azithromycine; premier échange avec un pharmacien adjoint qui démontra que la délivrance n'était autorisée qu’à titre compassionnel ; la maman est revenue le lendemain pour s'entretenir avec la titulaire : évidemment même discours privilégiant la prudence vis-à-vis de cette association non évaluée donc non validée, mais aussi proposant son écoute au cas où de possibles symptômes apparaîtraient.
Certaines prérogatives des pharmaciens d’officine ont été amplifiées, compte tenu de leur accessibilité. Ainsi les pharmaciens ont désormais un rôle d’alerte vis-à-vis des forces de l’ordre, en cas de signalement de violence conjugale et/ou intrafamiliale, et d’orientation vers des organismes de prise en charge dédiés. De plus, en raison d’une moindre fréquentation des services hospitaliers, il a été demandé aux pharmaciens de dispenser aux jeunes filles et aux femmes les produits nécessaires à la réalisation d’une I.V.G. médicamenteuse à domicile, jusqu’à la fin de la septième semaine de grossesse (la réglementation fixait jusqu’à présent le délai maximal à 5 semaines).
Les équipes ont accepté de répondre à des sollicitations inhabituelles telles que : imprimer des cours envoyés par des enseignants pour des enfants dont les familles ne disposent pas de matériel informatique, aider à prendre rendez-vous chez un médecin avec une simple tablette, donner des explications au sujet des téléconsultations à l’officine ou à domicile.
Une toute récente enquête a démontré que la population a retrouvé le chemin des officines de proximité. Ce qui peut nous rassurer sur sa fidélité. La « pharmacie de quartier » demeure donc un relais incontournable en cas de problème de santé.
Notons enfin que les agressions et les vols se sont multipliés pendant ces quelques semaines dans certaines régions. Outre la nécessité de redoubler de vigilance et de faire respecter les procédures de sécurité mises en place, voire de les renforcer, certaines officines ont été contraintes d'organiser les files d'attente dans la rue.
2 .Initiatives amenées à perdurer
Très rapidement, de nombreuses officines ont organisé la dispensation à domicile. Pratiquée rarement jusqu'à présent, ce service s'est considérablement développé pour assurer le suivi des traitements auprès de patient.e.s âgé.e.s et/ou isolé.e.s. Ce qui a nécessité un réaménagement des emplois du temps et l’acquisition des consignes de sécurité de la part des personnes appelées à se rendre à domicile. Des pharmaciens ont organisé des « driving » : les ordonnances adressées par mail étaient préparées dans la journée, ce qui permettait la délivrance des médicaments en fin de journée sur le parking des officines.
Quelques officines ont développé la télémédecine. Equipées d’un ordinateur, d’une webcam, de quelques objets comme thermomètre, tensiomètre, saturomètre, ou parfois d’une cabine équipée de nombreux objets connectés (dermatoscope, stéthoscope…), quelques officines ont permis à des patients de consulter en urgence un médecin. A noter que pendant ce temps de confinement, près d’un Français sur 4 soignés pour maladie chronique a ainsi consulté son médecin généraliste en téléconsultation.
Ce temps improbable a favorisé parfois une plus grande coordination entre soignants. La raison la plus fréquente fut la volonté d’organiser deux types de filières de patients, en séparant les patients suspects des patients indemnes. Plusieurs C.P.T.S. (communautés professionnelles de territoire de santé) plus ou moins embryonnaires sont alors devenues opérationnelles. Sur des territoires correspondant souvent à l’équivalent des communautés de communes (de 80 000 à 100 000 habitants), sont nées de véritables équipes pluridisciplinaires – d'un fonctionnement différent des maisons de santé - dans lesquelles la communication entre professionnels s’effectue grâce à une messagerie sécurisée. Nul doute que cette manière de fonctionner perdurera car favorable à une véritable prise en compte des parcours de soins et propice à créer de réelles passerelles entre ville et hôpital.
3 .Questions pour notre monde d’après et quelques possibles « pas de côté »...
Ce temps de crise a fait émerger plusieurs questions que nos dirigeants et notre profession ne peuvent aujourd’hui ignorer, si l'on veut inaugurer un véritable renouveau et « assurer le meilleur soin au plus juste coût ».
L’évident retour de la population vers les officines de quartier est, oh combien, porteur de sens. N’a-t-il pas à voir avec une certaine volonté de rompre avec une société d’hyperconsommation ? Etalages débordants de produits de parapharmacie et placardages de promotions auraient-ils fait fuir les patients, consentant dès lors à tourner le dos à une tyrannie du bien-être organisée par quelques fabricants, et préférant la compétence et la disponibilité des équipes d'officines de proximité ? Mais comment continuer sur cette lancée, si nos dirigeants ne consentent pas à trouver d’autres solutions que de rogner régulièrement sur le prix de vente des médicaments pour réduire nos dépenses de santé ? Ne serait-il pas temps de redonner de la valeur au « care » en attribuant une juste rémunération à chaque acte pharmaceutique ?
La question des pénuries de médicaments reste prégnante. Les officines, comme les établissements de répartition, n’ont pas baissé les bras : car nous savons que ces pénuries peuvent être dangereuses pour certains patients, mais aussi que celles-ci représentent un coût majeur pour nos structures, qui doivent surmobiliser leur effectif pour faire face aux situations critiques. Situation qui ne va pas s’arrêter de sitôt, étant donné le ralentissement des transports internationaux et les contingentements par pays décidés par les fabricants. De là une question essentielle : notre pays ne doit-il pas enfin reconnaître que l’ampleur de notre éventail pharmacothérapeutique - qui est à l'image de notre société d'hyperconsommation - doit être drastiquement réduit ? Notre système de soins ne doit-il pas opter pour plus d'indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique qui ne fait qu'entretenir le jeu des concurrences et participer à l'augmentation des prix d’une manière indécente? La commercialisation des génériques fut un grand pas en avant pour limiter nos dépenses, la limitation de molécules ayant des indication similaires serait également une véritable avancée dans ce sens, permettant ainsi de mieux rémunérer l’ensemble des soignants.
Corrélative à la question de la survie des petites officines : celle de l’homogénéité du réseau officinal. Imaginez les conséquences de l’existence de déserts pharmaceutiques sur le suivi thérapeutique de ces si nombreux patients atteints de maladies chroniques. Vouloir déréguler ce réseau, comme certains tentent obstinément de le faire, ne peut qu’instaurer une fracture supplémentaire, faisant émerger un fort sentiment d’abandon de la part des populations de nos périphéries urbaines et de zones rurales.
La solidarité qui s’est affirmée entre pharmaciens ne pourrait-elle pas perdurer ? Des associations inhabituelles, encouragées par les A.R.S. et les mairies ne pourraient-elles pas voir le jour, évitant des fermetures et permettant d'assurer un niveau de rentabilité suffisant pour maintenir un niveau de services essentiels ? Ne serait-ce pas le moment pour mettre en place des « officines-mères » reliées à des « officines-filles » autorisant une optimisation des ressources humaines et le développement des nouvelles missions accordées à la profession ?
L'accompagnement de la population pour le respect des mesures préventives par les équipes officinales a été considérable. Ce n’est pas nouveau qu’elles s’investissent dans ce domaine ! Pourtant les efforts que nos équipes fournissent quotidiennement ne sont toujours pas reconnus à leur juste valeur ! La culture de la prévention en santé est jugée accessoire depuis de nombreuses années par nos responsables politiques, considérant que le curatif est plus gratifiant et plus rémunérateur, et que toute démarche préventive relève plus de la liberté individuelle. Jusqu'à quand notre système va-t-il continuer à négliger ce temps de "conscientisation", et privilégier les campagnes vaccinales et de dépistage directement orchestrées par l'industrie qui en profite largement en retour ? Quoiqu’il en soit, les équipes officinales restent déterminées à être des relais d’information et d’éducation.
Autre question : il nous a été demandé d'une part de recueillir les plaintes de violence conjugale et intrafamiliale afin d'alerter les services compétents, d'autre part de dispenser obligatoirement les produits utilisés pour des IVG médicamenteuses. Deux décisions qui sont là pour répondre à des situations de détresse. Loin de remettre en cause le droit à l’avortement, un certain nombre de pharmaciens s’indigne devant cette obligation qui leur pose des problèmes de conscience. Aussi avons-nous demandé par une « Lettre ouverte aux responsables de notre profession» que cet arrêté soit réexaminé pour confier ce type de dispensation à des consœurs et confrères, titulaires comme adjoints, sur la base du volontariat et donner le droit aux autres d’orienter les demandeuses vers des officines prêtes à assurer ce service. Est-il possible enfin de rêver : notre système de soins pourra-t-il un jour offrir à ces jeunes femmes une alternative à ce seul type de « traitement » ?
Dernière remarque : l'A.N.S.M. (agence nationale de sécurité du médicament) de son côté n'a pas chômé. En raison de l'urgence des demandes d'autorisation d'essais cliniques, plusieurs étapes administratives ont été supprimées, ce qui semble avoir engendré une meilleure traçabilité des dossiers. Il est possible d'espérer que là aussi cette crise laisse quelques traces, en permettant plusieurs simplifications dans les demandes d'autorisation.
Cette crise sanitaire a démontré d'une manière exemplaire que là où clignote une croix verte, existe un véritable espace de santé et d'écoute. Non pas un lieu dénaturé où s'affichent de multiples promotions pour être en phase avec notre société d'hyperconsommation, mais un espace dans lequel des professionnels compétents se préoccupent de la santé d'autrui, que les problèmes soient d’ordre physique ou d’ordre psychologique. Pendant ces semaines, il s'agissait pour eux de « faire face » aux impératifs du moment, grâce à leur savoir-faire et leur savoir-être. Au risque d'être contaminé.e, chacun.e a pu transcender sa pratique quotidienne en se surpassant, occasion inattendue de se réassurer par rapport au sens à donner à sa vie professionnelle.
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
L’emploi : chemin d’inclusion des personnes fragilisées
novembre 2019
Il y a des questions qui de temps en temps vous traversent la tête et qui, faute de temps, sont laissées de côté. Puis elles nous rattrapent et nous mettent un jour au pied du mur. Celle qui est abordée ici, concerne la place dans le monde du travail des personnes plus fragilisées quelle qu’en soit la cause : handicap visible ou invisible, personne sans domicile fixe, sortant de prison, réfugié, etc.
Durant la Semaine européenne des personnes en situation de handicap, de nombreux débats ont été organisés en vue de développer des politiques d’emploi inclusives ; en effet notre société continue de résister aux incitations de toutes sortes pour leur offrir d’autres lendemains que l’exclusion ou l’assistance. Car quel est le lieu essentiel qui peut leur garantir une véritable reconnaissance, sinon celui du travail ? Deux chiffres en disent long sur la ségrégation qui sévit en France : le taux de chômage des personnes en situation de handicap est de 18%, soit le double de celui de la population ordinaire ; leur taux d’emploi avoisine les 3.5% dans le secteur privé, et 5.6% dans le secteur public, et cela en dépit des évolutions sociétales et juridiques.
Professionnels de santé, nous constatons chaque jour les souffrances vécues par ces personnes en situation de handicap, de la même manière que nous sommes témoins de l’isolement de nombreuses personnes âgées. Jusqu’à quand notre société induira-t-elle de telles exclusions, qui sont des dénis de fraternité et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, des pertes d’efficacité ? Car les employeurs qui ont fait le choix d’engager des personnes handicapées, comme le demande la loi, se félicitent d’avoir osé un tel pari. Pour deux raisons principales : d’une part, ces personnes sont remarquables par le sérieux qu’elles mettent à accomplir les tâches demandées ; outre les qualifications qu’elles ont pu obtenir au cours de leur formation, elles font preuve d’un fort investissement au niveau des postes qui leur sont confiés. D’autre part, ces personnes transforment leur milieu de travail et c’est « l’effet secondaire » le plus surprenant ; l’enthousiasme avec lequel elles se joignent aux autres, et développent chez eux des capacités relationnelles nouvelles, est contagieux. De là un véritable changement de regard sur le monde du handicap – qui peut demain nous concerner tous. Leur offrir de vivre dans un « milieu ordinaire » de travail, pourvu que les adaptations et compensations nécessaires y soient apportées, est le plus beau présent à leur faire, car c’est être au plus près de la vie sociale qu’elles ont le même droit que tous de vivre.
Quelques associations - relais (par exemple UP Emploi – Ensemble pour avancer ou Vivre et Travailler Autrement)[1] assurent un accompagnement des personnes pendant quelques semaines avant une recherche d’emploi, histoire de les aider à trouver confiance en elles, leur faire prendre conscience de leurs compétences et favoriser le développement de leurs capacités relationnelles. Ces formations comportent une semaine d’immersion accompagnée par un bénévole en entreprise en vue de la découverte d’un métier, d’une entreprise ou d’un secteur ; elles garantissent enfin un suivi personnalisé et une évaluation afin de réaliser les ajustements nécessaires.
Si le travail est pour nous une occasion d’épanouissement personnel et une possibilité de donner plus de sens à nos vies, il est pour ces personnes une véritable thérapie. L’entreprise qu’est l’officine peut être un lieu de découverte du travail d’équipe, un lieu d’apprentissage vers une plus grande autonomie, comme un lieu de prise de responsabilité. Accueillir une de ces personnes pendant une semaine ou l’embaucher après une période d’essai constitue un véritable acte citoyen témoignant de l’attachement aux valeurs humanistes fondamentales du soin et de la fraternité.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
[1] https://fr.ulule.com/up-emploi/news/
Les dernières trouvailles de l’industrie
août 2019
A l’heure actuelle, de nombreux économistes se penchent sur la question du devenir de notre système de santé. Mais ils ne sont pas les seuls ! Ainsi Medtronic, le n°1 mondial des implants, après avoir réussi à s’implanter (!) dans les hôpitaux, comme l’ont démontré des journalistes d’investigation, cherche aussi à faire évoluer notre système de Sécurité sociale à partir d’un concept plutôt nébuleux : la « valeur en santé ».
Cette notion a été inventée par Michael Porter, professeur de stratégie d’entreprise et consultant, notamment auprès de Medtronic. Elle n’aurait bien sûr comme objectif que de « faire progresser le système de santé » en diminuant notamment « le coût moyen des soins sur chaque patient »… [1]. Et la présidente de Medtronic France de déclarer vouloir positionner son groupe « dans l’écosystème de la santé français, de passer de fournisseur à un offreur de solutions, et surtout, à un partenaire à part entière ». Langue de bois qui ne cherche qu’à séduire, à l’heure où on perçoit les limites de notre système, en raison de l’explosion des dépenses de santé directement liée aux avancées technologiques.
On sait que, depuis la commercialisation du sofosbuvir pour le traitement de l’hépatite C, le principe de proportionnalité entre le prix de fabrication et le prix de vente n’est plus respecté. Les industriels du médicament déterminent maintenant les prix de vente de produits soi-disant « innovants » à partir d’études de marché cherchant à évaluer le prix maximum que les Etats sont prêts à payer pour soigner leur population. Avec ce que propose Medtronic dans la sphère des dispositifs, une nouvelle étape risque d’être franchie : les critères de choix économiques essentiellement objectifs sont mis de côté pour ne prendre en compte que les « bienfaits supposés pour le patient ». Anne Chailleu, présidente du Formindep, association qui défend l’indépendance de l’information médicale, ose, à juste titre, la comparaison suivante : « C’est un peu comme si un vendeur d’airbags, au lieu de vendre l’airbag au prix des coûts plus des marges, se mettait à le facturer au prix de la vie qu’il sauve lors de son usage. »[2]
Derrière ces nouveaux modes de calcul, il est possible de suspecter les laboratoires d’exploiter une des idées-forces qui fait florès dans notre société plutôt atomisée : la préoccupation d’un corps né pour la performance. Affiches et spots publicitaires avec mise en avant d’un corps « libéré », séjours de remise en forme, pratiques sportives intensives, émissions télévisuelles à l’exemple des « pouvoirs extraordinaires du corps humain » … , tous promeuvent l’idée de moments de vie réussis grâce à la maîtrise de corps toujours plus surprenants et aux sensations procurées au cours d’activités les plus inattendues, et laissent présager de futurs corps « augmentés »…
Cet attachement sans précédent à la santé, aux couleurs du bien-être, fait considérer celle-ci comme un capital que la collectivité a le devoir de préserver. De là, la démarche des fabricants à faire oublier la notion de prix pour lui substituer celle de valeur, considérant les économies réalisées en vue de sauvegarder le bien-être du patient pour les années à venir. Pour l’instant, il semble que cette annonce fasse office de « ballon d’essai », vu le flou des déclarations. Quels paramètres retenir pour la détermination d’une telle valeur : le gain en mobilité, ou en autonomie, l’absence d’épisodes douloureux…voire l’estimation de l’espérance de vie ? Autres questions : le vécu des patients sera-t-il pris en compte et comment ? Ne va-t-on pas aussi au-devant de réelles situations d’injustice, en privilégiant certaines vies plutôt que d’autres ? A moins que certains traitements ne soient accessibles qu’aux seuls patients suffisamment argentés ?
Enfin cette proposition de la part de Medtronic va à l’encontre de ce que nous, professionnels de santé, observons : quand la maladie vient frapper, la personne accepte d’autant plus facilement son handicap ou sa perte d’autonomie qu’elle a pu entretenir, sa vie durant, un réseau relationnel solide avec des proches et ami(e)s. C’est dans ces circonstances que l’être humain vérifie qu’il est d’abord un être de relation et qu’il expérimente véritablement les bienfaits de son état d’interdépendance avec autrui. Aussi paraît-il inconcevable que notre système de santé édifié sur le principe de solidarité soit miné définitivement par des modes de calcul de prix qui contreviennent à cet esprit.
Jean-Philippe Delsart
[1]https://www.franceculture.fr/societe/medtronic-comment-le-ndeg1-mondial-des-implants-cherche-a-transformer-notre-systeme-de-securite
[2] idem
Le pharmacien : maillon faible ou maillon fort ?
Article publié par le Quotidien le 15 avril et le Moniteur le 18 avril 2019
Comme tout professionnel qui met ses compétences au service des personnes, le pharmacien d’officine et son équipe ne peuvent s’exempter de réflexion éthique. Confrontés à des ordonnances parfois difficiles à honorer, aux nombreuses sollicitations des laboratoires, à des demandes de « dépannage » de médicaments, à des situations de détresses sociales, « les officinaux doivent prendre le temps d’une réflexion pour assurer des soins de la manière la plus ajustée. » comme l’a rappelé Cédric Liochon, jeune pharmacien rémois, lors d’un débat organisé par l’AFPC dans le cadre du dernier salon PharmagoraPlus. Puis de citer le juge de la Cour Suprême Potter Stewart : « l'éthique est de savoir la différence entre ce que vous avez le droit de faire et ce qu’il est bon de faire. »
Mais certains s’interrogeront : « N’a-t-on pas déjà le code de déontologie et le code de santé publique pour décider correctement ? » Or, comme nous l’a dit Dominique Folscheid, professeur émérite de philosophie morale et politique à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, « le droit tendant à envahir de nombreux domaines et se chargeant de remplacer les normes par des fonctionnements, perd son sens normatif pour se transformer en un filet de sécurité de plus en plus serré. Il risque même de venir organiser notre propre irresponsabilité. » Ainsi les réflexions d’ordre éthique ne peuvent être résorbées par des prescriptions exclusivement juridiques : « l’éthique n’est pas soluble dans le droit ».
L’éthique n’est ni une science, ni un système de règles. « L’éthique est la réflexion philosophique sur la pratique ». Un détour par la sémantique est nécessaire : êthos, qui signifie l’étable des animaux, correspond, pour nous les hommes, au monde humain : « L’éthique est là pour nous humaniser et nous faire habiter le monde, en nous aidant à nous conduire ». Mais éthos a à voir aussi avec l’habitude ; il s’agit alors d’imiter ce qui est déjà en place comme normes dans une société, « mais en les transposant dans le monde particulier des personnes en présence ». D’où cette différence entre morale et éthique : la morale fait appel aux normes en cours, alors que l’éthique demande réflexion.
Alors comment faire pour bien faire ? Parce qu’un patient n’est pas simplement un client, tout professionnel de santé opte pour le mieux-être de celui-ci et cherche à concilier une éthique des fins avec une éthique des moyens. La visée du bien est une perpétuelle « pesée », guidée par les idées de justesse et de justice. Pour cela, Aristote parle de phronesis qui recouvre les idées de prudence et de sagesse pratique. Dans le cas du pharmacien, ce concept associe « raison théorique / formation intellectuelle et raison pratique / connaissance du médicament». A partir de là, il est possible de définir un habitus complet qui est l’harmonie d’une manière d’être ou une disposition d’esprit, avec un savoir qui n’est jamais passif et constamment remis en question. Cet habitus s’acquiert « par le compagnonnage auprès de professionnels compétents et l’expérience au fil des années ».
Les professionnels de santé interviennent de telle manière que leurs actes constituent une chaîne de soins, en pensant prioritairement au bien du patient. Or la solidité de toute chaîne dépend du maillon le plus faible. Les pharmaciens devraient-ils représenter ce maillon, par leur laxisme ou leur irresponsabilité ? Alors qu’à l’aide de leur jugement éthique, « ils pourraient au contraire tenir lieu de premier maillon, assurant le premier accueil et la première instance d’orientation ».
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
A l’écoute des personnes en grande précarité
Article publié dans le Quotidien du pharmacien le 28 février 2019
Notre profession a perçu depuis quelques années l’intérêt de personnaliser l’accompagnement des patients, notamment ceux traités pour maladies chroniques. A l’expérience, de nombreux confrères restent désarmés face à de tels patients en situation de grande précarité. Derrière ce constat, une question : ces derniers ne nous incitent-ils pas à revenir vers les fondamentaux de la communication qui veut se faire bienveillante ? Tel fut le sujet de la dernière journée de formation organisée par l’Association Française des Pharmaciens Catholiques en partenariat avec l’Association Catholique des Milieux Sanitaires et Sociaux. En résumé, trois verbes ont retenu l’attention des participants.
Ecouter. Après plusieurs témoignages de soignants, Christian Mongin, médecin au COMEDE (comité pour la santé des exilés), est revenu sur l’absence de formation des professionnels de santé pour accueillir des populations en grande difficulté : « Ne connaissant pas ces situations, nous sommes le plus souvent submergés par l’émotion, la peur, le rejet, la compassion ou la culpabilité et il nous faut acquérir des outils pour prendre du recul. » L’attention que l’on porte aux personnes dès le premier instant est déterminante pour la suite car « elles s’approprient le regard que l’on pose sur elles ». De là un certain nombre de critères de vulnérabilité à connaître pour mieux identifier ces personnes : insécurité administrative, couverture sociale incomplète, difficultés d’expression, isolement… Ecouter est primordial car c’est donner à son interlocuteur l’espace dont il manque souvent pour s’exprimer et se dire. Suite à cette intervention, deux personnes ayant vécu dans la rue pendant plusieurs années ont témoigné de la peur que de très nombreuses personnes en situation de précarité ont des professionnels de santé et le plus souvent de l’absence de considération quant à leur santé, enfermées dans une logique de survie.
Dialoguer. La mission d’un professionnel de santé est d’être compris par son interlocuteur. Ce qui demande à s’adapter à celui-ci. Depuis quelques années, un certain nombre de soignants veille à s’adresser différemment à leurs patients en prenant en compte leur niveau de littératie en santé. Cette notion, soulignée par Pierre-Yves Traynard, coordinateur du Pôle de ressources Ile de France en Education thérapeutique du patient, est définie comme la capacité de trouver, de comprendre, d’évaluer et d’utiliser des informations pertinentes pour sa santé. Elle est aussi reconnue comme déterminant important en matière de santé, car un faible niveau de littératie correspond à une moindre chance d’être en bonne santé. De là la règle n°1 : mieux connaître ses patients pour « se mettre dans la peau des gens auxquels on s’adresse, mais ce n’est pas facile ! »
Transmettre : un temps d’échange entre les participants a été réservé à la question de la transmission des informations à des collaborateurs et à d’autres professionnels. Car l’accueil des personnes les plus fragiles doit être l’affaire de tous. Il en est ressorti d’abord que les informations à partager ne peuvent qu’être d’ordre factuel, et que seules les données intéressant les réels besoins des personnes doivent être retenues. Aucune place pour les impressions ou les ressentis. D’autre part, il est nécessaire que l’accord des intéressés soit confirmé. Par ailleurs, il est indispensable, de l’avis de tous les professionnels, que ces temps d’écoute et d’échange avec des personnes en grande difficulté soient reconnus comme temps de travail par nos instances tutélaires et donc rémunérés comme actes de soins.
En conclusion, il s’agit, pour tout soignant, d’ « apprendre à voir », ce qui permettra écoute et dialogue justes avec chaque patient.
Le Conseil de l’Association Française des Pharmaciens Catholiques
LE NOMBRE DE PORTES POUSSÉES EST-IL ENCORE PERTINENT ?
Novembre 2018
Pour démontrer la disponibilité du pharmacien de ville et l’efficacité du réseau officinal, la profession a souvent mis en avant le nombre de fois qu’une porte d’officine est poussée par jour : grâce aux 22 000 officines implantées dans les endroits les plus variés, il est possible d’atteindre aujourd’hui les trois millions de fois ! Chiffre exorbitant et qui pousse à s’en enorgueillir. Question quantité, on peut en être fier.
Mais question qualité, n’a-t-on pas intérêt à s’interroger ? Et surtout doit-on continuer à avancer un tel critère ? La délivrance d’une boîte de paracétamol et d’un antiacide, avec les conseils adéquates, ne pose pas de problème. Celle d’un dentifrice et d’une crème pour les pieds ne demande pas non plus de longs discours. Celle d’un lait anti-régurgitation pour bébé ou d’un complément nutritionnel oral demande davantage de disponibilité. Quant à une première délivrance de chimiothérapie orale ou celle d’un traitement post-infarctus, vous savez ce qu’il en compte de temps et de patience !
A vouloir mettre en avant la facilité avec laquelle le pharmacien est accessible, ne risque -t-on pas de fausser les représentations de laprofession comme celles de nos lieux d’exercice ? En effet nombre de nos contemporains n’ayant connu que le seul modèle de la société de consommation n’ont en tête que la logique G.M.S. (grandes et moyennes surfaces) : entrant à l’officine comme dans un moulin, ils sont davantage préoccupés par les prix et ont bien peu de considération pour les professionnels y exerçant.
La performance « nombre de portes poussées » a pu avoir un certain impact « dans le temps », participant à l’heure de gloire de la pharmacie à la française. Mais si l’on persiste avec un tel discours d’autocélébration, que va-t-il advenir de notre crédibilité, à l’heure où de nouveaux services vont demander encore plus de
compétence et professionnalisme, seuls critères favorables à notre survie ? N’oublions pas aussi que derrière ces exigences, un minimum de discernement éthique est parfois requis pour assurer délivrances et conseils personnalisés.
Alors comment restructurer nos lieux d’exercice, avant que les G.M.S. soient plus inventives que nous ? N’avons-nous pas intérêt à revoir nos lieux de confidentialité avec des postes assis, à les multiplier, à créer des espaces « ventes rapides », à réguler les files d’attente en fonctionnant sur rendez-vous … ? Les initiatives ne peuvent être que les bienvenues pour restaurer le pharmacien d’officine comme soignant à part entière.
Jean-Philippe Delsart
Priorité à de nouvelles relations interprofessionnelles
Texte publié par le Quotidien du Pharmacien le 4 avril 2018 et par le Moniteur des pharmacies le 21 avril 2018
Notre système de santé est sur le point de connaître des bouleversements considérables en raison des innovations de rupture, principalement au niveau technologique et numérique, modifiant complétement les moyens diagnostiques et thérapeutiques. A terme, ces bouleversements ne seront pas sans conséquences au niveau économique, sociétal et éthique.
En vue de répondre à ces défis, la nouvelle Stratégie Nationale de Santé ainsi que la présentation récente des cinq chantiers prioritaires faite par le gouvernement pour une réforme globale du système de santé sont tout à fait ambitieuses. Parmi les objectifs d’amélioration de la santé qui pourraient impacter l’exercice officinal, on peut citer : l’amélioration du repérage, du dépistage et de la prise en charge des pathologies chroniques, la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, l’amélioration de la pertinence des prescriptions, le renforcement des actions de prévention…
Ces textes mentionnent aussi la structuration des soins primaires en vue d’assurer la qualité et la continuité des parcours de soins, le développement des prises en charge au plus près des lieux de vie, la lutte contre les inégalités territoriales d’accès à la santé, la généralisation des usages du numérique en santé…
Pour nous, pharmaciens, de nouvelles missions seraient envisageables, si elles se conçoivent dans le cadre d’un rapprochement plus affirmé avec les autres professions de santé. S’il existe bien aujourd’hui la volonté de mettre en place une politique plus cohérente de santé, celle d’accroître l’implication des usagers et celle de prendre la mesure de la totalité des enjeux humains, ces textes ne soulignent guère la priorité de transformation des relations interprofessionnelles au service d’une plus grande fluidité des parcours de soins et la mise en place d’une véritable politique de promotion de la santé.
D’autre part, ce projet de reconfiguration ne passe-t-il pas aussi par la sollicitation plus soutenue de chaque profession en fonction de chacune de ses expertises afin que chacune y trouve une place bien définie, sans venir en concurrencer d’autres ? Enfin la convocation régulière de l’ensemble des professionnels et d’associations de patients ne permettrait-elle pas d’en arriver à des projets qui fassent consensus, spécialement l’amélioration du résultat des soins pour chaque patient, ce qui éviterait par la même occasion les pressions corporatistes mal venues ? Ce recentrage de notre politique de santé tenant compte des apports concertés de l’ensemble des professionnels serait l’occasion d’affirmer les valeurs qui les mobilisent.
Comment participer à notre niveau à cette transformation en vue de redessiner le monde de la santé ?Le Conseil de notre association, représentatif des diverses compétences de notre profession, se propose comme un lieu indépendant des pouvoirs pour réfléchir librement avec d'autres aux enjeux et au sens à donner à ces mutations. Aussi tout pharmacien, quelles que soient ses convictions, souhaitant travailler dans ce sens sera le bienvenu.
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
Comment clarifier nos relations avec l'industrie ?
Janvier 2018
Les pharmaciens d'officine sont bien souvent attaqués en raison de leur dépendance à l'industrie pharmaceutique, principalement à partir des médicaments qu'ils sont amenés à conseiller.
La toute récente enquête de ''60 millions de consommateurs'' pointe l'efficacité douteuse mais surtout la dangerosité d'un grand nombre de ces médicaments, et souligne à nouveau l'intérêt pour notre profession de référencer ces produits en vue d'améliorer notre marge bénéficiaire. Les années se succèdent et les reproches grossissent et s'accumulent, avec le risque d'être dénigrés pour notre incompétence et notre mercantilisme ...
La diversification des services semble aujourd'hui incontournable. Mais une des solutions peut venir de la création d'un nouveau statut pour le médicament conseil, comme veut le proposer notre nouvelle présidente de l'Ordre. La possibilité de prescrire ces médicaments – avec, si possible, des prix encadrés pour éviter de trop grands écarts entre officines - nous obligerait à la fois à évaluer scientifiquement l'intérêt de telles délivrances, et à tracer informatiquement chacune d'elles dans un dossier patient - ce qui peut incliner les mutuelles à s'intéresser au remboursement de ces médicaments. Qui dit responsabilité assumée dit considération restituée. Cette proposition a aussi l'avantage de rappeler que le pharmacien est le spécialiste du médicament , au cas où d'autres professionnels seraient tentés de faire bouger les lignes en demandant de décharger les médecins d'un certain nombre de prescriptions....
D'autres questions sont à prendre en compte. D'abord si le pharmacien veut continuer à être le spécialiste du médicament, ne doit-il pas passer par des formations totalement indépendantes ? Question récurente. Cela vaut déjà pour l'ensemble des formations post-universitaires pour une dispensation de connaissances vraiment évaluées et reconnues par des comités d'experts. A ce sujet, l'Ordre ne pourrait-il pas réactualiser un contrôle soutenu des participations régulières de chacun, manière de préserver un niveau de compétence minimum ?
Par ailleurs, qu'en est-il des formations universitaires ? Dernièrement une charte éthique et déontologique vient d’être adoptée par les doyens des facultés de médecine,et d’ondotologie et comporte 11 engagements pour les facultés dont notamment le financement externe des facultés et les bonnes pratiques pédagogiques dans les relations avec les industries de santé. Pourtant si la conférence des doyens de pharmacie avait pris également part à l'élaboration de cette charte, elle ne s’y est finalement pas associée, en raison des points suivants de divergence: d'une part, les pharmaciens formés ne sont pas dans une position de prescripteur - mais qui dit qu'ils ne le seront pas un jour? - d'autre part, les études de pharmacie permettent d'orienter certains étudiants vers l'industrie du médicament, et là on sait que des industriels interviennent dans la formation en raison de leur expertise spécifique du milieu industriel. Aussi suite à ce désaccord, la conférence des doyens de pharmacie veut proposer prochainement sa propre charte, en tenant compte des spécificités de la formation, de la charte de la Conférence internationale des doyens d'expression française, et des initiatives déjà mises en place dans certains facultés. Gageons que nos facultés s'orientent vers des pratiques qui soient en totale adéquation avec les exigences déontologiques et d'intégrité éthique, afin qu'elles deviennent des lieux de formation exemplaires.
La suspicion continuelle de notre dépendance à l'industrie constitue en partie notre talon d'Achille et la pression médiatique nous force à la clarifier. Mais comment s'en distancer ? Même si nous ne sommes pas pour l'instant prescripteurs, nous participons grandement à la commercialisation de médicaments au rapport bénéfices / risques défavorables, et "non statistiquement plus efficaces qu'un placebo"! Par ailleurs les théories du complot dans le domaine de la santé ne sont pas prêtes de s'éteindre du jour au lendemain, les "affaires" concernant les vaccins ont dernièrement relancé les polémiques. Pour pas mal de temps encore, seules une compétence régulièrement mise à jour et une vigilance constante pourront favoriser de la part de nos patients le changement de regard que chacun de nous attend.
Jean-Philippe Delsart
Vous voulez nous aider !
Depuis quelques années, de nombreuses prescriptions nous posent problème, pour plusieurs raisons :
- médicaments dont le rapport bénéfices /risques défavorable est avéré, soit à la suite de leur utilisation depuis plusieurs années avec signalements auprès des centres de pharmacovigilance, soit dès leur commercialisation après des essais réduits et non conformes (absence de comparaison avec des molécules de référence, unique comparaison versus placebo...)
- médicaments prescrits à des doses ne correspondant pas à ce que préconisent le fabricant dans leur A.M.M.
- médicaments prescrits pour des indications hors A.M.M.
- interactions médicamenteuses déconseillées voire dangereuses
- enfin médicaments prescrits ne correspondant pas au contexte clinique connu
Ces situations sont tout à fait inconfortables quand le médecin maintient sa prescription ; elles procurent un sentiment d'insatisfaction par rapport à la qualité de notre service, tant à l'égard de nos patients qu'à l'égard du bien public ; enfin notre responsabilité est évidemment engagée en cas d'accident.
Le refus de délivrance est évidemment reconnu, à nous de le signaler et de le tracer ; l'opinion pharmaceutique est aussi une réponse à notre embarras parce qu'elle permet de présenter notre désaccord d'une manière claire et documentée grâce à des recherches approfondies. Pour ces deux décisions, c'est notre compétence professionnelle que nous mettons en avant.
A d'autres occasions, même si certaines doses ou associations ou nouvelles prescriptions sont défendues par le prescripteur, il nous semble de notre responsabilité de ne pas souscrire aux arguments mis en avant par ce dernier (référence à son expérience clinique, ou à des modes de prescription hospitalière, préconisation douteuse de la part du fabricant, soi-disant essai thérapeutique...). Dans de tels situations, notre désaccord relève d'un jugement personnel fait en conscience. C'est ce jugement qu'il convient de faire valoir, car ici aussi, il en va de la santé de nos patients comme de celle des finances publiques. Une clause de conscience serait particulièrement utile à l'ensemble de notre profession pour nous engager dans une prise de décision pleinement libre et responsable.
Aussi pour que notre association continue à démontrer l'importance d'une clause de conscience, nous avons besoin de vous afin d'étoffer ce dossier à l'aide d'ordonnances que vous jugez problématiques. Vous pouvez nous les transmettre facilement après les avoir scannées. Dans votre courrier, vous êtes évidemment dispensés de mentionner votre décision finale, car celle-ci n'appartient qu'à vous.
Avec tous nos remerciements pour ce surcroît de travail, mais l'avenir de notre profession en dépend.
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques (novembre 2016)
Gratuité et rémunération : où se termine l'une, où commence l'autre ?
Après lecture de l'étude de la Fondation Concorde intitulée « Pharmacie d'officine : quelles évolutions pour répondre aux défis de demain »*, on ne peut que saluer l'ampleur de la réflexion et la pertinence des orientations proposées. D'autant qu'on ne tourne pas autour du pot : « Ils [les pharmaciens] doivent prendre conscience qu'une mobilisation réelle doit se faire, pour que les changements soient possibles ». L'ensemble de ce texte diffère grandement des solutions simplistes bien souvent avancées pour colmater quelques brêches et faire miroiter une augmentation facile du chiffre d'affaires.
Quelques interrogations parcourent ce texte, parmi lesquelles : comment déterminer le prix de ces nouveaux services ? Et qui va payer ? Questions qui s'accompagnent d'une remarque impossible à occulter : « Si l'Etat ne prend pas en charge, il sera nécessaire... d'habituer les pharmaciens eux-mêmes à les faire payer, ce qui n'est à l'heure actuelle pas dans leur culture. »
Il semble important de s'arrêter sur ce comportement : qu'est-ce qui fait que les pharmaciens ont acquis cette culture ? Sont-ils si « coincés » qu'ils le paraissent ? Rappelons que leur rémunération dépend par principe de la vente du médicament, fabriqué historiquement dans leur préparatoire et depuis maintenant longtemps conditionné industriellement, avec un prix de vente imposé par l'Etat. Des produits les plus divers, quant à leur efficacité voire même quant à leur intérêt en officine, sont venus par la suite compléter leurs offres, procurant un complément de chiffre d'affaires, actuellement indispensable pour assurer un relatif équilibre économique. Ainsi on peut penser que cette réticence à faire payer autre chose que du médicament ou du parapharmaceutique s'inscrit dans une culture du conseil et de l'oral. Alors que le conseil délivré oralement vient accompagner chaque dispensation, le concept de service reste quelque peu étranger au monde officinal. A l'exemple des entretiens pharmaceutiques qui sont censés impulser une nouvelle dynamique, le service renvoie aux idées d'utilité en termes de santé publique et de source d'économie pour les finances publiques, grâce à une validation par des études scientifiques ; pratiqué dans un cadre de « bonnes pratiques », avec obligation de trace écrite et grâce à une expertise strictement pharmaceutique, son paiement valorise ce type d'acte. Mais on connaît les oppositions du corps médical à accorder quelques prérogatives à notre profession. Alors n'est-il pas probable que celle-ci ne se lancera dans de nouvelles activités qu'à partir du moment où des accords interprofessionnels nationaux auront été signés, définissant précisément les actes confiés et les parts de responsabilité de chacun, avec la mise en place de formations validantes.
Aussi cette difficulté à demander une rétribution est-elle à mettre en relation avec une relative prudence et une certaine honnêteté intellectuelle de la part des pharmaciens, chacun considérant d'abord les bénéfices en matière de santé publique des services, mais cherchant par ailleurs à préserver des relations les plus « cordiales » avec les prescripteurs les plus proches. Le succès mitigé de la mise en place de T.R.O.D. (tests rapides d'orientation diagnostic) peut s'expliquer ainsi. La recherche de respect vis-à-vis des différents protagonistes permet aussi de préserver une certaine identité de professionnels de santé, à la différence de « prestataires de service » cherchant à « ponctionner » à leur manière leurs clients. Par exemple serait-il juste de concevoir un paiement lors d'une prise de tension ou d'une recherche de glycémie capillaire occasionnelles, ces actes relevant plus du complément d'information ou d'une aide au diagnostic en cas de malaise.
Tout acte posé dans une officine doit-il avoir une valeur marchande ? Il semble que si notre profession reste encore largement appréciée par le public, c'est que son exercice préserve une certaine part de gratuité. Cette part de non-monnayable est inestimable car témoigne du souci d'autrui. A nous de relever le défi de conjuguer nouvelles compétences, nouveaux services et nouvelles rémunérations avec capacité d'accueil de l'humain afin de rester des « sachants humanistes ».
Le Conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques (Mai 2016)
*http://www.fondationconcorde.com/publications-fiche.php?id=155
Questions autour du monopole pharmaceutique
À un moment où le monopole pharmaceutique est sévèrement attaqué et semble gravement fragilisé, il n'est peut-être pas inutile de se poser quelques questions à son sujet
Il y a bien longtemps, le monopole pharmaceutique a été conçu par le législateur dans le but de préserver la santé publique : considérant l'importance d'utiliser à bon escient et de façon adéquate les médicaments, il réserve la possibilité de les délivrer et de les vendre aux seuls pharmaciens (et préparateurs en pharmacie exerçant sous leur responsabilité) afin que ceux-ci, de par leur formation et leur connaissance de ces mêmes médicaments, agissent au mieux pour la santé publique, c'est à dire des personnes franchissant le seuil de l'établissement où ils exercent.
Ce faisant, ce monopole offre, entre autres choses, à ce professionnel de santé, une possibilité tout à fait particulière, celle de pouvoir refuser, lorsqu'il l'estime nécessaire, la vente de certains dispositifs médicaux ou substances, lorsqu'il estime que ceux-ci ne seront pas bénéfiques à la santé des personnes venant les réclamer. Il crée un espace de liberté, pour le pharmacien, indispensable au service de la santé.
Puis, il y a plusieurs années déjà, apparut la RU489, qui mit pour la première fois les pharmaciens en situation de délivrer personnellement une substance abortive. Parmi ces derniers, de la même façon que chez les médecins longtemps auparavant, se trouvèrent des personnes réclamant que leur soit reconnu, clairement, d'un point de vue légal, un droit de refus de délivrance de cette molécule pour raison de conscience. En effet, le pharmacien se retrouvait, à partir de cette date, et pour la première fois, devant des demandes de substances destinées à supprimer des enfants à naître, là où auparavant sa seule mission avait été, au contraire, de les aider à naître dans les meilleurs conditions possibles, et cela, en faisant absorber à leur mère une substance n'apportant, au sens commun du terme, aucun bénéfice à sa santé. Cette demande aurait dû appeler, logiquement, le même type de réponse que celui donné aux autres professions de santé environ trente ans auparavant.
Pourtant, peu de temps après, la DGS faisait savoir qu'elle estimait que les pharmaciens ne pouvaient bénéficier de cette même "clause de conscience" accordée naguère aux autres membres du corps médical affrontés à la même situation.
Paradoxe : entre autres arguments avancés à l'époque pour justifier cette négation, fut mis en avant le monopole pharmaceutique. Ce dernier, par un étrange retournement, était présenté comme un état de fait obligeant le pharmacien à délivrer la RU 489, car personne d'autre que lui n'était détenteur du droit de la fournir (il est à noter que le fait que seuls les médecins aient le droit de "procurer" un avortement n'avait pas posé tant de problèmes dans les années soixante-dix …). Ce qui, à l'origine, avait été un outil permettant au pharmacien de refuser de délivrer des substances estimées mauvaises pour une personne se retrouvait donc être, pour l'objecteur de conscience, un argument destiné cette fois à le contraindre à faire l'inverse (car l'objecteur de conscience agit avant tout selon cette conviction).
Après un certain nombre d'autres affaires, dont celle du Médiator® a été la plus médiatisée, montrant qu'une conception clairement rappelée et réaffirmée du monopole pharmaceutique et donc du refus de délivrance y afférent aurait pu permettre au pharmacien de mieux faire entendre sa voix dans l'espace de la santé publique, et d'y tenir son rôle, ne serait-il pas le moment de s'interroger à nouveau à son sujet ?
La crise actuelle qui en provoque la sévère et inquiétante remise en question ne serait-elle pas due en partie à un progressif et lent effacement du souvenir de l'état d'esprit dans lequel il avait été conçu ?
Le Conseil de l'A.F.P.C
Décembre 2014.
Rôle du pharmacien comme acteur de santé à l'heure du numérique
"On ne peut pas voir le pharmacien d'officine rester en arrière car il doit jouer un rôle de facilitateur !" affirme Éric Salat, directeur des programmes pédagogiques Think Meded et membre du collectif inter associatif TRT-5. C'est une des idée-force à retenir de la table ronde qui a été organisée par l'Association Française des Pharmaciens Catholiques au dernier salon Pharmagora sur le thème : "Prescriptions et délivrances à distance, sécurité et confidentialité en jeu".
Avec lui, deux autres intervenants : Christophe Courage, avocat et membre de l'Association Française du Droit de la Santé, a rappelé la législation qui s'est mise en place depuis 2012 pour encadrer le commerce électronique du médicament. Mais ce sont les enjeux éthiques qu'il s'est efforcé de développer. Ainsi la question de la sécurité du patient avec le risque d'usurpation d'identité. Ou celle de l'absence d'interaction pharmacien-patient avec le recours aux réponses automatisées reléguant aux oubliettes le devoir de conseil du pharmacien.
Delphine Chadoutaud, pharmacienne, vice-présidente du syndicat de l'Essonne et animatrice du blog pharmaciensencolere.fr conteste la transformation de site officinal en site exclusivement marchand et rajoute : "La chaîne du médicament a été parfaitement sécurisée en France, mais la décision de vente de médicaments par internet a été accueillie pour la plupart d'entre nous comme un véritable pavé dans la mare ! " Elle évoque elle aussi le risque de passer à côté d'une pathologie importante tant qu'on n'a pas le patient en face de soi : "rien ne peut remplacer le relationnel direct pour appréhender le maximum d'éléments qui conduisent au soin le plus adapté."
Si certains font le choix de s'engouffrer dans ce nouveau commerce promouvant une hyper consommation de médicaments et produits de toutes natures, on peut aussi se demander comment profiter de ces technologies pour développer de nouveaux services. C'est ici qu'Éric Salat se réfère à son expérience personnelle : gravement malade, il a réussi à faire collaborer le pharmacien de l'hôpital dans lequel il était hospitalisé et son pharmacien de ville. Puis, sur sa demande, l'ensemble des prescriptions des médecins spécialistes transitait par l'intermédiaire des pharmaciens hospitaliers vers son pharmacien de ville, lequel assurait le lien avec le médecin traitant. C'est ainsi que «"ce pharmacien a développé un rôle de facilitateur. Car d'une part dans chaque parcours de soin, vous êtes le passage obligé puisque vous détenez le médicament. Ce médicament qui est à la fois sésame et danger, vous en êtes l'expert pour en assurer la meilleure utilisation et éviter toute erreur. D'autre part, en vous rapprochant des patients aux pathologies lourdes (par exemple en assurant la livraison des médicaments), vous facilitez leur accès aux soins et les aidez à retrouver davantage d'autonomie."
«C'est un rôle à reconquérir car il y a risque sur l'organisation des soins au cas où des sociétés privées interviendraient.» L'outil électronique doit être utilisé de telle manière qu'il vienne renforcer sécurisation et confidentialité des données : «La m-santé doit passer par des plate-formes localisées avec des filtres humains, et les pharmaciens pourraient être les premiers de ces filtres.» Bel avenir pour ceux qui feront le choix de se positionner comme acteur de proximité dans cette nouvelle forme de chaîne du soin."
Cet article est paru dans le Quotidien le 28 avril 2014
Le conseil de l'Association Française des Pharmaciens Catholiques
Les pharmacies "low cost" : réactions
Le journal La Croix a publié le 24 mars 2014 un article au sujet des pharmacies "low cost"; cet article laissait entendre que ce nouveau concept ne pouvait qu'être profitable à la fois aux pharmaciens et à leurs clients.
Comment ne pas réagir à cette vision et dénoncer qu'une telle stratégie orchestrée par quelques affairistes ne peut qu'abimer davantage la profession et déstabiliser définitivement le tissu officinal.
Surprise : La Croix n'a pas jugé important de prendre en compte notre courrier. La signature de la part d'une association semble rédhibitoire pour son comité de rédaction, assimilant peut-être l'envoi d'un tel texte à une missive corporatiste.
A chacun alors d'écrire quelques lignes lorsque l'honneur de la profession paraît menacé.
Voici le texte que nous avions envoyé :
Les ravages des pharmacies low cost
Nous avons souhaité réagir à votre article du lundi 24 mars 2014 au sujet des pharmacies low cost car vous ne faites aucune allusion quant aux risques de l'extension de telles officines.
Pour commencer, voici ce qu'une consœur exerçant tout près d'une de ces pharmacies que notre quotidien semble découvrir nous a rapporté: « Madame, je viens vous voir pour que vous m'expliquiez mon ordonnance, car dans la pharmacie d'à côté où je suis allée, ils ne m'ont rien dit. » Cette demande nous paraît tout à fait significative du mode de fonctionnement de ces officines et de ses conséquences.
Que la solution aux difficultés économiques que connaît la majorité des officines soit dans le regroupement pour constituer des réseaux qui puissent faire pression sur les industriels et obtenir de meilleures conditions d'achat, c'est indéniable. Car il n'est plus possible depuis plusieurs années de rester isolé si l'on veut proposer des médicaments-conseil ou des produits de parapharmacie à un prix raisonnable. Mais casser les prix comme le font ce type de surfaces, n'est-ce pas aussi casser le conseil ? Et banaliser le médicament qui ne peut devenir un produit de consommation courante ? Or n'oublions pas qu'il s'agit de produits de santé ! Aucun produit ou médicament ne doit se vendre sans conseil, même ces produits pré-vendus par les média qui donnent l'impression au « consommateur » de tout savoir après avoir vu un spot télévisuel. Le souci de santé publique qui mobilise encore la majorité de la profession officinale a un coût car il en va de la compétence et de la disponibilité des équipes, lesquelles par leur conseil apportent une valeur ajoutée aux produits et médicaments délivrés.
Par ailleurs, le rapprochement de ce type d'officines avec la grande distribution semble aller de soi pour l'auteur de l'article, un peu comme une mutation obligée pour la pérennité des officines. Mais c'est d'une part oublier que ces nouvelles surfaces déstabilisent dangereusement le tissu officinal, occasionnant immanquablement la fermeture de petites officines, elles qui sont bien souvent des lieux d'information et d'éducation à la santé. C'est d'autre part occulter le risque insidieux de voir se développer des chaînes de pharmacies : en favorisant ce type de logique économique, ne va-t-on pas assister peu à peu à la mainmise d'un petit nombre d'affairistes, pharmaciens ou non, sur un plus grand nombre d'officines en installant des confrères qui seront alors soumis aux impératifs économiques imposés par le groupe et perdront du coup toute indépendance. L'aspect libéral de la profession disparaîtra pour privilégier le seul côté commerçant, et ainsi promouvoir la course à l'hyper consommation de produits et de médicaments de toutes natures...
Face au développement de telles structures, le droit a plutôt laissé faire, la DGCCRF. favorisant d'ailleurs une plus grande concurrence, tendant à faire croire au plus grand nombre qu'on peut se soigner mieux avec plus de médicaments moins chers ! Parasitant en cela le message qu'on peut se soigner autrement qu'en consommant du médicament. Nos instances professionnelles ne peuvent qu'assister au désastre, à partir du moment où il n'y a pas de comportement anti-déontologique ! Reste l'éthique. Ici c'est à chacun, seul et avec d'autres confrères, de travailler cette dimension pour prendre de la distance par rapport au tout-économique et donner du sens à son exercice de professionnel de santé, notamment par la dimension relationnelle qui s'y joue. On sait combien l'officine reste appréciée par la population car elle représente le poste avancé de notre système de soins, cet espace de santé où un professionnel peut assurer un conseil, une information et un premier soin en toute gratuité et sans aucun rendez-vous ! En fin de compte, n'aurait-il pas été préférable de souligner l'urgence d'une autre rémunération pour les pharmaciens à partir de la reconnaissance de l'ensemble des actes pharmaceutiques posés au quotidien plutôt que d'en rester au seul bénéfice proportionnel au volume de boîtes vendues.
avril 2014